Le président russe Vladimir Poutine (deuxième à gauche), le président serbe Aleksandar Vucic (à gauche), et le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou lors d’une cérémonie marquant le 73e anniversaire de la défaite des nazis durant la seconde guerre mondiale, le 9 mai à Moscou. / Mikhail Klimentyev / AP

Que fait Vladimir Poutine quand il est « très préoccupé » par la situation au Moyen-Orient ? Il joue au hockey avec son ministre de la défense, Sergueï Choïgou, à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, selon des images diffusées jeudi 10 mai par la présidence. Quarante-huit heures après la décision de Donald Trump de rompre l’accord nucléaire iranien, et tandis que la tension entre Israël et l’Iran culmine après des bombardements massifs de positions iraniennes en Syrie par l’armée israélienne, en riposte à des tirs de roquette à sa frontière, le chef du Kremlin cultive sa différence. Il reste muet.

Le président russe n’a, publiquement, rendu compte d’aucun contact à son niveau, ni avec son allié syrien Bachar Al-Assad, à Damas, ni avec son partenaire iranien en Syrie, Hassan Rohani. Une stratégie qui lui permet de temporiser en préservant ses intérêts dans la région. Tout juste, Moscou a-t-il dépêché à Téhéran, jeudi, le vice-ministre des affaires étrangères, Sergueï Riabkov, à la rencontre de son homologue, Abbas Araghchi, pour rappeler « l’attachement » de la Russie à l’accord nucléaire qu’elle a signé en 2015, en même temps que six autres pays, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Chine, l’Iran – et les Etats-Unis, avant l’annonce de leur retrait.

« Bien sûr, nous avons réaffirmé notre engagement pour la poursuite de cet accord, et la nécessité d’une pleine coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique [AIEA] comme cela a été fait jusqu’à présent, c’est une des réussites les plus importantes de ces dernières années », a déclaré le diplomate, cité par l’agence russe Interfax.

Le rétablissement des sanctions américaines contre l’Iran a été abordé d’ici. « Nous avons exprimé nos vues dans le domaine de la coopération, à la lumière de la nouvelle situation, comment défendre nos activités, assurer correctement leur poursuite et leur évolution », a expliqué M. Riabkov. « La Russie et l’Iran ont convenu de poursuivre une coordination étroite, afin de poursuivre une relation bilatérale adéquate », a appuyé le ministère des affaires étrangères dans un communiqué depuis Moscou. La partie russe espère tirer son épingle du jeu, comme elle l’avait fait dans les années 1990 en reprenant, au sud de l’Iran, la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr, alors abandonnée par l’Allemagne.

Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, qui recevait en parallèle, jeudi, son nouvel homologue allemand, Heiko Maas, a pris soin d’afficher une distance tout aussi prudente en appelant l’Iran et Israël, renvoyés dos à dos, « au dialogue ». Le recours à la force est « une tendance très inquiétante, a-t-il déclaré. Nous partons du principe que toutes les questions doivent être résolues par le dialogue ».

Un rôle d’intermédiaire

A ce point des tensions, il n’y a guère de dialogue. Mais à la différence d’un Donald Trump, Vladimir Poutine est aujourd’hui capable de parler avec tout le monde, et c’est sans doute ce message qu’il souhaite faire passer. Dans une région où elle a n’a cessé d’étendre ces dernières années son influence, grâce à son intervention militaire en Syrie en septembre 2015, la Russie peut même espérer jouer un rôle d’intermédiaire. Le 9 mai, en dépit de son alliance avec la Turquie et l’Iran en Syrie, le chef du Kremlin a ainsi eu tout le loisir de s’afficher avec le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, venu chercher, une nouvelle fois, la bienveillante neutralité de son interlocuteur.

Dès le lendemain, Moscou s’est contenté, par l’intermédiaire de son ministère de la défense, de livrer les détails « techniques » des frappes israéliennes survenues à l’aube, jeudi, à peine M. Nétanyahou de retour chez lui, en riposte aux tirs de roquettes iraniens sur la partie du Golan syrien occupé par l’état Hébreu.

Tel-Aviv a su faire valoir ses arguments auprès de Moscou. Evoquant des « relations très constructives avec la Russie », le ministre de la défense israélien Avigdor Liberman, né en ex-URSS, avait fait passer ce message dans un entretien au journal Kommersant le 3 mai, moins d’une semaine avant la visite de M. Nétanyahou :

« Nous apprécions ces relations même lorsque nos partenaires les plus proches exercent une forte pression sur nous… Par exemple, dans le cas des sanctions contre la Russie auxquelles nous avons catégoriquement refusé de nous associer, ou plus récemment lorsque beaucoup ont renvoyé des diplomates russes, Israël n’a pas rejoint le mouvement. »

L’aggravation des hostilités, sur le plan militaire, entre Israël et l’Iran placerait Vladimir Poutine dans une situation beaucoup plus délicate. Mais pour l’heure, le chef du Kremlin a d’autres raisons de se montrer patient. Le vent de révolte des Européens contre le retour des sanctions américaines contre Téhéran, qui menacent leurs entreprises, va dans son sens.

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