Des proches de Naomi Musenga, le 10 mai 2018. / FREDERICK FLORIN / AFP

La révélation des circonstances ayant précédé la mort de Naomi Musenga, 22 ans, le 29 décembre 2017, à savoir un refus inadapté et irrespectueux de prise en charge par le SAMU de Strasbourg, va-t-elle accélérer l’évolution de la régulation des urgences en France ? Après trois jours de tempête médiatique, les représentants du SAMU avaient encore du mal, vendredi 11 mai, à évaluer la portée de l’onde de choc suscitée par ce drame.

Tous faisaient d’abord état d’une hausse sensible du nombre d’injures et de menaces reçues par les centres de régulation. Certains médecins urgentistes s’indignaient d’un traitement médiatique « injuste », regrettant par exemple la publication d’appels à témoigner de mauvaises expériences avec le SAMU. « Il suffit qu’il y ait un cas où ça n’a pas bien marché pour que ça efface les 99,99 % des cas où ça fonctionne », déplorait l’un d’eux. François Braun, le président de SAMU-Urgences de France, s’inquiétait d’une dégradation de l’image du SAMU. Pour lui, « ce qui s’est passé met le doute sur un système qui fonctionne bien, voire très bien, avec le risque que des patients n’appellent plus, ce qui se traduirait par des pertes de chances pour eux ».

Dans la journée, l’organisation avait renvoyé à tous les SAMU une série de recommandations de bonnes pratiques en matière de régulation médicale, rappelant notamment aux opérateurs qu’il fallait « éviter absolument toute familiarité, toute plaisanterie et tout propos agressif, péjoratif, méprisant ou injurieux » lors des échanges téléphoniques. Des règles de bon sens qu’avait visiblement oubliées l’opératrice strasbourgeoise.

Formation initiale obligatoire

Les évolutions structurelles, elles, sont au menu de la rencontre lundi 14 mai avec la ministre de la santé, Agnès Buzyn. La première question posée devrait être celle de la formation des assistants de régulation médicale (ARM), un métier crucial, accessible avec un simple bac et quasiment sans formation spécifique. Un rapport du Sénat de septembre 2017 estimait que cette fonction était « bien souvent » exercée « par des personnes manquant d’expérience, quand ce n’est tout simplement pas d’une formation initiale ». Les auteurs proposaient de mettre en place une formation initiale obligatoire et standardisée d’au moins deux ans, incluant des périodes de stage et sanctionnée par un diplôme qualifiant.

Deuxième sujet : la mise en place d’un numéro et d’une plate-forme uniques entre le SAMU (le 15) et les pompiers (le 18). Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale de l’administration (IGA) est attendu prochainement sur les conditions de mise en place de cette mesure qui divise depuis des années les blancs (le SAMU) et les rouges (les pompiers).

Il sera enfin question de moyens humains supplémentaires. Même si Mme Buzyn a assuré que le drame de Strasbourg n’était pas « une question de moyens », mais « une question de formation, d’empathie et d’écoute », la question sera abordée. « Les professionnels dans les SAMU travaillent dans des conditions épouvantables depuis des années et n’ont plus les moyens d’assurer un service public correct », juge Wilfrid Sammut, médecin au SAMU dans les Yvelines et membre du syndicat des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs.

Liaisons vidéo

Par manque de médecins régulateurs, explique Christophe Prudhomme, le porte-parole de l’Association des médecins urgentistes (AMUF), le protocole prévoyant que les ARM ne décident pas seuls des suites à donner aux appels (à l’exception de ceux demandant une adresse de dentiste ou de pharmacie) « n’est pas toujours appliqué » dans les SAMU, dont celui où il exerce, en Seine-Saint-Denis. Conséquence : « On fait porter aux ARM des responsabilités qu’ils ne devraient pas avoir. Appliquer les règles de bonnes pratiques va augmenter la charge de travail. »

A la Société française de médecine d’urgence, on compte également plaider pour une modernisation des pratiques. Karim Tazarourte, son vice-président, urgentiste à Lyon, s’interroge ainsi sur la possibilité de recourir plus souvent à des liaisons vidéo, grâce aux smartphones. « L’image serait une information supplémentaire et nous aiderait à faire un tri pour ne pas rater les appels qui présentent un caractère de gravité », dit-il.

Les nouvelles mesures devraient être annoncées lors de la publication des conclusions de l’enquête flash de l’IGAS commandée par Mme Buzyn sur le drame de Strasbourg, a annoncé vendredi soir son ministère.