Dans « Babylon Berlin », un commissaire arriviste et toxicomane (Volker Bruch) est chargé d’enquêter sur diverses affaires. / F. Batié/X Filme Creative Pool/Degeto Film/Beta Film/Sky Deutschland

L’histoire aura été un terreau fertile pour toute une nouvelle génération de séries télévisées allemandes. Après la seconde guerre mondiale (Generation War), l’après-guerre (Ku’damm 56 et 59) et l’automne de la guerre froide (Deutschland 83), c’est l’entre-deux-guerres que ressuscite Babylon Berlin, dont les deux premières saisons ont été diffusées fin 2017 sur la chaîne payante Sky et le seront prochainement en France. Une troisième saison, très attendue, est en préparation.

180 jours de tournage, 300 décors, 5 000 figurants

Babylonienne, la série l’est dans tous les sens du terme. Ses conditions de production, d’abord : 180 jours de tournage, 300 décors, 5 000 figurants, près de 40 millions d’euros au total pour les deux premières saisons (deux fois huit épisodes de 45 minutes). Jamais une série télévisée allemande n’avait donné lieu à une telle débauche de moyens. A vrai dire, jamais une série allemande n’aura donné à voir une telle débauche tout court. Le spectateur en a un avant-goût dès le premier épisode. La scène se passe au siège de la police berlinoise en 1929. Un commissaire arriviste et une apprentie détective se bousculent à la sortie d’un ascenseur. Le choc provoque la dispersion des photos que l’un et l’autre ont sous le bras : des corps en jouissance d’un côté, des corps mutilés de l’autre. Le mélange des clichés est une métaphore de la série, tableau méphitique d’une République de Weimar rongée par le stupre et la violence.

Babylon Berlin - Trailer l Netflix
Durée : 01:34

Inspiré d’un polar de Volker Kutscher publié en français sous le titre Le Poisson mouillé (Seuil, 2010), Babylon Berlin coche toutes les cases de la série à succès : réalisation soignée, narration suffisamment rythmée pour être addictive mais avec ce qu’il faut d’anfractuosités pour être attrayante, et personnages troublants d’ambivalence à l’instar des deux policiers, dont l’un est un toxicomane à temps plein et l’autre une prostituée occasionnelle.

« Babylon Berlin » ressuscite « les genres que le cinéma allemand a pratiquement cessé d’explorer depuis que les nazis ont chassé ou tué ses plus grands artistes, comme la comédie musicale, le film de gangsters ou le mélodrame. » Extrait du « Spiegel »

Mais deux autres qualités expliquent l’accueil élogieux réservé à la série. La première tient au bel hommage qu’elle rend au cinéma allemand de l’époque. Si les scénaristes se sont délectés à évoquer M le maudit à travers quelques notes de Grieg ou à ressusciter le docteur Mabuse sous les traits d’un psychiatre inquiétant, leur admiration à l’égard de Fritz Lang et de ses contemporains ne se borne pas à ces références un peu faciles. Comme l’a souligné le Spiegel à sa sortie, Babylon Berlin ressuscite « les genres que le cinéma allemand a pratiquement cessé d’explorer depuis que les nazis ont chassé ou tué ses plus grands artistes, comme la comédie musicale, le film de gangsters ou le mélodrame ». De ce point de vue, le titre même a valeur de manifeste. A Berlin, Babylon est en effet le nom d’un des cinémas à la programmation la plus exigeante. Une salle qui a justement été ouverte… en 1929.

« Babylon Berlin » a donné lieu à une ébauche de moyens inédite en Allemagne. / F. Batié/X Filme Creative Pool/Degeto Film/Beta Film/Sky Deutschland

La seconde qualité de la série tient à sa contemporanéité. Tel qu’il y est dépeint, le Berlin de la fin des années folles correspond à l’image fantasmée du Berlin actuel, ville de tous les excès et libertés. Mais, avec ses personnages interlopes aux desseins politiques inquiétants, il est aussi le terrain de jeu de forces antidémocratiques en pleine ascension, qui finiront par triompher avec l’arrivée des nazis au pouvoir.

Lire aussi le post de blog : Babylon Berlin – Entre deux guerres, entre deux mondes

Un parallèle avec aujourd’hui ? « Pour la première fois depuis la chute de la République de Weimar, nous nous retrouvons dans une situation comparable en Allemagne, avec une partie croissante de la population qui se positionne sur le flanc droit de l’échiquier politique », expliquait Henk Handloegten, l’un des réalisateurs, dans Die Zeit, le 29 septembre 2017, deux semaines avant la diffusion du premier épisode et cinq jours après l’élection, pour la première fois depuis la guerre, de députés d’extrême droite au Bundestag.