Incendie provoqué par l’explosion d’une bombe devant une église de la ville de Surabaya, le 13 mai. / ANDY PINARIA / AFP

Ce sont des familles entières, père et mère et enfants transformés en commandos suicides, qui ont perpétré, dimanche 13 et lundi 14 mai, les attentats djihadistes les plus sanglants de la dernière décennie en Indonésie. Dans la ville portuaire de Surabaya, située dans l’est de l’île de Java, un couple et leurs quatre enfants ont attaqué trois églises chrétiennes : leur assaut a fait au moins quatorze morts et quarante blessés.

L’organisation Etat islamique (EI) a aussitôt revendiqué sur la messagerie Telegram cette action menée par ses « martyrs » au modus operandi sans doute inédit dans l’histoire du djihadisme international. Lundi matin, la deuxième vague d’attaques, qui visait cette fois les forces de l’ordre, a fait au moins un mort parmi ces dernières, selon un bilan provisoire. Les assaillants : cinq membres d’une même famille, encore, dont un enfant de 8 ans, arrivés à moto, qui ont déclenché leurs explosifs à un point de contrôle, devant un commissariat. Le plus jeune des terroristes aurait survécu, selon la police locale.

Dimanche, Puji Kuswati, une mère, et ses deux filles âgées de 9 et 12 ans, toutes voilées d’un niqab, ont mené la première attaque de cette série, contre l’église Kristen Indonesia Diponegoro. Elles sont entrées à l’heure de la sortie de la messe et ont fait exploser les bombes qu’elles portaient autour de la taille. Le père, Dita Priyanto, a, de son côté, foncé avec sa voiture piégée dans une église pentecôtiste tandis que ses deux fils de 16 et 18 ans se chargeaient, à moto, de se faire exploser dans l’église de Santa Maria… Selon un porte-parole de la police indonésienne, cette famille revenait de Syrie.

Le chef de la police indonésienne, Tito Karnavian, a indiqué par la suite que le commando appartenait à une organisation terroriste javanaise liée à l’EI, la Jamaah Ansharut Daulah (JAD). Cette dernière, née à Bandung, dans l’Ouest javanais, était pourtant considérée par certains experts comme inactive ces derniers mois, la plupart de ses membres fondateurs ayant été tués ou emprisonnés.

La police a par ailleurs indiqué que quatre membres présumés du mouvement JAD avaient été tués dans des opérations qui ont suivi une émeute dans une prison de haute sécurité en banlieue de Djakarta, ayant eu lieu cette semaine. Cinq policiers et un détenu avaient trouvé la mort au cours d’affrontements dans cette prison, où des détenus islamistes avaient pris un gardien en otage. L’EI avait déjà revendiqué l’attaque, en diffusant des images filmées de l’intérieur.

Montée de la ferveur djihadiste

Cette soudaine recrudescence d’attentats djihadistes, dans le plus grand pays musulman du monde, est une répercussion directe de l’implication de plusieurs centaines d’Indonésiens en Syrie aux côtés de l’EI. Depuis le début du conflit armé dans ce pays, en 2011, les services de renseignement de Djakarta ont noté une montée de la ferveur djihadiste parmi les cercles activistes du pays, mais également un flux de départs continu en direction du Proche-Orient. En 2016, l’agence de renseignement nationale indonésienne, BIN, estimait leur nombre à environ 500, quand le ministre de la sécurité, Luhut Panjaitan, évoquait 800 départs vers le théâtre irako-syrien.

Dans un article publié en février 2018 pour l’Institute for Policy Analysis of Conflicts, basé à Djakarta, l’experte Sidney Jones remarquait que 2016 avait été une année charnière :

« Une instruction fut à l’époque donnée par Abu Mohammad Al-Adnani, l’ancien porte-parole de l’EI qui a par la suite été tué, exhortant ses combattants à conduire des actes de guerre dans leur propre pays, étant donné qu’il devenait de plus en plus difficile de se rendre en Syrie. »

Selon Mme Jones, cette « fatwa de la mort » aurait ainsi changé la donne du programme d’entraînement des candidats au djihad de la JAD : « D’un seul coup, il n’a plus été question de se préparer au djihad en Syrie, mais au djihad en Indonésie. »

A cette menace locale se conjugue le risque présenté par les « revenants » de Syrie, s’il est confirmé qu’au moins une des deux familles qui ont commis les attentats de dimanche et lundi a séjourné là-bas. A la différence de Boko Haram au Nigeria, l’EI avait jusqu’ici à plusieurs reprises exprimé sa réticence à voir des femmes – et a fortiori des petites filles – participer à des opérations dites « offensives », cantonnant leur rôle de « combattantes » à des contextes dit « défensifs », tels que résister à des assauts des forces de sécurité. Avec l’utilisation de familles entières comme commandos suicides, un pas vient d’être franchi en Indonésie.

« Un acte barbare, qui dépasse les bornes »

Le président indonésien, Joko Widodo, qui n’hésite jamais à rappeler le caractère multiculturel de l’Indonésie, un archipel où 90 % de musulmans cohabitent avec près de 10 % de chrétiens (dont 7 % de protestants), a dénoncé dimanche « un acte barbare, qui passe les bornes de l’humanité : il a causé des victimes parmi des membres de la police et de simples citoyens, au nombre desquels on compte des enfants innocents ».

Ces appels à la tolérance, dans un pays marqué par l’émergence du djihadisme, notamment depuis l’attentat de Bali, qui avait fait plus de 200 morts en 2002, s’inscrivent dans un contexte délicat. Malgré les horreurs de dimanche, les mouvements terroristes de l’archipel semblaient endigués, mais on assiste depuis quelques années à l’émergence de groupes radicaux islamistes sur la scène politique indonésienne. La violence djihadiste est, dans ce climat, l’expression la plus violente d’une dérive incarnée par l’activisme de leaders islamo-conservateurs à l’influence croissante.