Santos Mirasierra,  à Marseille, le 10 mai. / France Keyser pour Le Monde

La barbe a blanchi et s’est épaissie. La silhouette, elle, s’est affinée… Et quelques tatouages supplémentaires grignotent ses bras puissants. Dix ans après les incidents du match Atlético Madrid-OM et sa condamnation à trois ans et demi de prison en Espagne, Santos Mirasierra laisse toujours le même sentiment quand on le quitte. Celui d’avoir rencontré un gars discret, que l’histoire a percuté malgré lui. « Je suis devenu un symbole de violence, de hooliganisme, alors que je suis et ai toujours été un simple ultra qui ne veut que soutenir son club », résume le supporter marseillais, 43 ans, encore incrédule d’avoir vu sa vie bouleversée le 1er octobre 2008.

Ce soir-là, au sortir d’une rencontre de Ligue des Champions entre l’Atlético Madrid et l’OM (2-1) au stade Vicente-Calderon, Santos Mirasierra, membre et porte-voix du Commando Ultra 84, le plus ancien groupe de supporteurs marseillais, devient une icône du mouvement ultra. Dans la tribune où sont parqués les fans de l’OM, le match a été violent. Les forces de l’ordre ont chargé les Marseillais. Qui ont riposté en bombardant les policiers de projectiles improvisés. Une caméra de surveillance a enregistré le geste de Santos qui pousse un policier dans le dos et le déstabilise. « Quand j’ai vu des membres du groupe, des femmes, des jeunes, des vieux, se faire matraquer alors qu’ils étaient assis, j’ai réagi. Je pense que tout le monde peut le comprendre », se remémore-t-il.

Pour ce geste – l’étude de la vidéosurveillance n’a rien révélé d’autre le concernant –, Santos Mirasierra est condamné deux mois plus tard par la justice espagnole, au terme d’un procès où la réalité des faits ne pèse guère. « Je suis un ultra, pas un hooligan, ni un criminel », a beau assurer Santos à l’audience, l’Espagne, en pleine guerre avec ses propres supporteurs, fait un exemple de ce Marseillais qui a la tête de l’emploi.

« On me présente à nouveau comme un bagarreur »

Pendant deux mois, le Stade-Vélodrome hurlera en chœur « Libérez Santos » à chaque match de l’OM. Un cri repris par les kops ultras de – presque – toute l’Europe jusqu’à la libération sous caution, le 9 décembre 2008. Le président olympien de l’époque, Pape Diouf, saisi par l’injustice faite à Santos, affrétera un avion privé pour le rapatrier. Les Bukaneros, supporters d’un autre club de Madrid, le Rayo Vallecano, avanceront la caution… Et le cas Santos disparaîtra de l’actualité.

Aujourd’hui encore, l’intéressé rechigne à revenir sur la période. « Cela ne s’est pas arrêté là. L’Espagne m’a rendu à la France mais n’a jamais lâché sa pression. J’ai fait quatre mois et demi à la maison d’arrêt de Luynes [près d’Aix-en-Provence], puis dix mois de conditionnelle avec un bracelet électronique », énumère-t-il.

La peine purgée, Santos reprend le cours de sa vie auprès de sa compagne, son travail dans une entreprise de logistique, à Miramas, petite ville à cinquante kilomètres de Marseille… « Depuis que l’on sait que l’OM jouera la finale contre l’Atlético, les journalistes m’appellent. A la télévision, on me présente à nouveau comme un bagarreur. Mais comment ces gens peuvent-ils dire cela, alors qu’ils ne m’ont jamais rencontré ? », s’interroge celui que son entreprise a repris sans hésiter et qui, entre-temps, est devenu père de famille.

La question ne concerne pas que les médias. Lors de l’Euro 2016, alors qu’il vient assister au match Ukraine-Pologne à Marseille, Santos Mirasierra est interpellé dans la rue par un colosse polonais. L’homme lui propose d’organiser un « fight », une bataille rangée à cinquante contre cinquante, avec les ultras marseillais. Santos décline. « Il m’a reconnu… Il pensait que j’étais la bonne personne à qui demander ça », souffle-t-il.

Reconverti dans le football américain

Après sa sortie de prison, Santos Mirasierra s’est mis au football américain. Deux saisons avec les Argonautes d’Aix-en-Provence, une des meilleures équipes françaises, avant une blessure au genou. « C’est un sport que j’ai toujours rêvé de pratiquer. En cellule, tu fais le point sur tes envies et tu te dis qu’en sortant il faudra aller au bout. Pour moi, c’était aussi une façon de changer de monde », reconnaît-il. Une façon aussi de tenter d’éloigner une passion qui le brûle toujours.

« Au début, tu penses que tu vas passer à autre chose, que tu as payé cher ton amour pour l’OM, pour la culture ultra… Mais le stade, quand tu n’as fait que ça, c’est plus fort que toi », poursuit-il. Pendant les deux ans où la justice l’interdit de tribune, l’ancien capo qui lançait les chants des ultras accompagne parfois ses camarades jusqu’aux portes du Vélodrome et écoute le son du stade. « Je suis même allé en déplacement à Nancy avec eux. Là-bas, je me suis installé dans un bar pour regarder la rencontre, seul », raconte-t-il.

Santos Mirasierra n’a pas repris le micro, mais il s’est à nouveau coulé dans le collectif du CU84. Ce matin de mai 2018, alors que la queue des abonnés en quête de billets pour la finale de la Ligue Europa s’allonge devant le siège, il s’est installé devant sa machine, pour recoudre la tête de mort du groupe sur une bâche. « Je l’avais retirée avant le déplacement à Bilbao, parce qu’en Espagne tout signe ultra est interdit », explique-t-il.

En 2008, c’est ce crâne, tête de pirate mi-agressive mi-rigolarde, qui avait déclenché la charge des policiers madrilènes. Comme un symbole de l’incompréhension d’une culture supporteurs – faite de ferveur, de déplacements, de tifos mais aussi, parfois, de violences – désormais prise en tenaille dans toute l’Europe entre les interdictions strictes et les avancées du football business.

« Voir des virages fermés parce qu’il y a eu des fumigènes, ça fait mal. Il n’y a pas de dialogue, que de la répression. Nous ne sommes pas des anges, mais que souhaite-t-on ? Nous chasser des stades ? Je pense qu’à l’OM, le président Eyraud a compris qu’il avait besoin de nous. Contre Leipzig et Salzbourg, si les groupes de supporteurs ne poussent pas derrière l’équipe, obtient-on le même résultat ? »

A Lyon, Santos Mirasierra sera au cœur de son groupe. Comme il l’était à Bilbao en huitièmes de finale, où les caméras de la télé espagnole l’ont traqué, ou en Autriche pour l’embrasement de la demi-finale. « On me demande si cela m’inquiète que l’OM affronte l’Atlético… Je vois juste que mon club dispute une finale de Coupe d’Europe. On craint des affrontements avec les Espagnols ? A Madrid, en 2008, il n’y a pas eu de bagarre entre supporteurs. C’est la police qui a chargé. Lorsque j’étais en prison, les gars du Frente Atlético, [principal groupe de supporteurs de l’Atlético Madrid] sont venus me voir, pour me dire qu’ils auraient réagi comme moi. »