Bibata Gansagné , seule femme chauffeur de taxi de la capitale du Burkina Faso, le 1er mai 2018. / OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

« Hé la taxi-woman ! » interpelle un homme au passage d’une voiture, près de l’aéroport de Ouagadougou. « Tout le monde me reconnaît ici », s’amuse « Biba », qui ne passe pas inaperçue au volant de sa Citroën Saxo verte – la couleur des taxis de la capitale burkinabée – et rose. « Ça, c’est ma petite touche, montre-t-elle fièrement. J’ai fait peindre le bas de la carrosserie avec ma couleur préférée. » A 32 ans, Bibata Gansagné est la seule femme chauffeur de taxi de la ville.

Elle s’est lancée dans cette activité il y a huit ans, avec une formation de couture et son permis en poche. « Certains collègues chauffeurs me disaient que je n’allais pas tenir, on me répétait que c’était un métier d’homme. Mais deux ans plus tard ils sont venus me féliciter : “Tu as plus de clients que nous !” », rapporte Biba, qui travaille principalement pour des touristes et des humanitaires. Dans ce milieu très masculin, cette mère d’un enfant de 6 ans n’hésite pas à poser des limites. « Mes clients sont plutôt respectueux et encourageants. Mais il arrive que l’on me pose des questions déplacées, que l’on me demande si je suis mariée par exemple. Je réponds que je suis maman, ça coupe net ! » raconte-t-elle, quand la sonnerie de son téléphone l’interrompt : elle doit filer chercher des clients dans un hôtel pour une course en soirée.

Entre 100 000 et 250 000 francs CFA par mois

« Je travaille tous les jours, j’emmène le petit à l’école tôt le matin, avant de commencer ma journée à 7 heures. Elle dure jusqu’à 18 heures, parfois plus tard s’il y a des clients. Quand je ne peux pas aller le chercher le soir, je m’arrange avec ma famille », détaille la jeune femme, qui touche entre 100 000 et 250 000 francs CFA (entre 150 et 380 euros) par mois, un « bon revenu », estime-t-elle.

De l’autre côté de la ville, dans le quartier de Kouritenga, Fleur Tapsoba aussi a appris à concilier vie de famille et gestion de son entreprise. Sous un soleil écrasant, bleu de travail sur le dos, elle a les mains plongées dans le moteur d’une voiture, le front perlé de sueur. « Je fais 6 heures-18 heures, six jours sur sept, même les jours fériés », indique la patronne du Garage féminin Wend Panga, mère de trois enfants. Depuis l’ouverture de son commerce, il y a un an, cette mécanicienne de 42 ans ne compte pas les heures passées, le nez plongé dans son cahier de comptabilité, dans son petit bureau sans fenêtres face au hangar qu’elle a aménagé.

Côte d’Ivoire : ces femmes qui exercent des métiers « d’hommes »
Durée : 04:55

Son atelier de réparation automobile, « c’est un rêve qui a mis plus de quinze ans à prendre corps, dit-elle. Au début, c’était un défi pour moi de montrer que les femmes aussi peuvent réussir dans la mécanique. J’ai travaillé pendant tout ce temps comme apprentie dans un garage. Ça a duré, parce que j’ai été enceinte plusieurs fois, et puis j’ai préféré attendre de me sentir prête avant de me lancer seule et d’ouvrir ma propre société. » Les débuts seront difficiles. Fleur Tapsoba rassemble ses économies – près de 600 000 francs CFA, « une somme énorme » – et travaille avec des pièces auto achetées à crédit. L’appel d’air viendra d’un prêt accordé il y a trois mois par le Centre féminin d’initiation et d’apprentissage aux métiers (CFIAM) de Ouagadougou, qui lui a permis d’embaucher trois employés : une femme et deux hommes, afin d’éviter « une nouvelle forme de discrimination », précise la patronne, qui se donne « deux ans pour arriver à l’équilibre ».

« Une sorte d’autocensure »

Assis derrière un bureau encombré de dossiers, Bernard Zongo, le directeur du CFIAM, a été l’un des premiers à soutenir Fleur Tapsoba, une ancienne de la deuxième promotion du centre qu’il a créé en 1997. « On me prenait pour un plaisantin au début. J’ai eu du mal à recruter, aucune fille ne voulait s’engager, il y avait une sorte d’autocensure. On me disait des choses comme : “la femme n’est pas assez intelligente pour faire de l’électronique” ou “il faut être fou pour les encourager à plonger leurs mains dans l’huile sale des pièces de moto” », se rappelle le fondateur du CFIAM, où la réalisatrice Theresa Traoré Dahlberg a suivi une promotion de futures mécaniciennes pour son film documentaire Ouaga Girls.

Cinéma : « Ouaga Girls », mécanos et briseuses de clichés
Durée : 03:17

Ce genre de préjugés et de clichés, Mariam Ndiaye Darankoum, formée en électronique au centre, a aussi dû les combattre. Désormais gérante de deux magasins de réparation électronique, elle se remémore son premier stage dans une entreprise de mécanique : « J’étais la seule femme, c’était difficile. J’ai eu du mal à me faire respecter. Les collègues ne voulaient pas répondre à mes questions. Au fond, je crois qu’ils avaient peur que je prenne leur place », témoigne cette Ouagalaise de 30 ans, dans son petit kiosque jaune rempli de prises électroniques et de câbles en tout genre.

« Pour rendre les femmes autonomes financièrement, il faut qu’elles soient formées pour pouvoir vendre leurs compétences. La lutte contre la pauvreté et le chômage commence par l’insertion des jeunes filles », soutient Bernard Zongo. Aujourd’hui, le CFIAM de Ouagadougou forme 186 apprenties à la mécanique, à l’électricité ou encore à la tôlerie-peinture. Au Burkina Faso, le taux de chômage atteint 20 % chez les femmes, contre 8 % chez les hommes, selon un rapport de 2016 du Programme des Nations unies pour le développement.