CHARLOTTE HERZOG/« LE MONDE »

Au pied de l’hôtel de luxe Martinez, de l’autre côté des barrières, badaudes et badauds se retrouvent avec leurs grandes aspirations. En attendant de capturer une épaule ou un bout de robe, ils conversent à plusieurs, à la volée, sans vraiment commencer leurs phrases et en les terminant rarement.

Il y a celle qui est venue « faire la curieuse, comme tout le monde ». Celle qui pourrait « vraiment pardonner la mauvaise météo à Cannes », si seulement elle pouvait apercevoir « une jolie coiffure, une paire de chaussures, une toilette qui fasse rêver ». Celle qui a bien calculé son coup : « Hier sur le tapis, il y avait plein de stars françaises. C’est possible qu’ils soient au Martinez, et comme je les connais, je vais pouvoir les reconnaître. » Car les mannequins Chopard avec « leur sacrée longueur de jambes que tout le monde suit des yeux, on ne sait pas qui c’est », abonde une voisine, sans détourner son regard, fixé sur l’arrivée des voitures.

Il y a celle qui donne des conseils : « Si ça crie, ne cherchez pas à savoir qui est là, criez comme les autres, ça peut marcher. » Il y a celui qui attend The Weeknd – « ma petite fille m’a demandé un autographe » – mais ne sait pas vraiment qui c’est. « Vous me direz quand ils seront là ? » Ce n’est apparemment pas au programme. Qu’importe, il n’a pas osé dire non à sa petite fille, il attendra.

« Ah pis une fois dans la voiture, c’est râpé. On voit plus rien avec les vitres fumées »

Il y a celui qui ne tient pas en place, frustré par « les porteurs de robe ou les maquilleurs qui gênent la vue. Ah pis une fois dans la voiture, c’est râpé. On voit plus rien avec les vitres fumées ». Il y a celle qui est là, mais « juste comme ça », car elle sait bien que « les vraies stars » sont à Antibes, à l’Eden Rock : « Ils viennent ici en coup d’hélico pour se faire préparer pour la soirée, mais c’est tout. » Il y a celle qui prend le risque de regarder ailleurs : « Les chauffeurs sont beaux mecs, j’aime bien, dommage, on ne voit pas leurs chaussures. » Celui qui papote mais qui n’a pas encore la technique : « Ah mince voilà, je cancane puis je rate la jolie blonde… c’était qui ? »

Il y a celle à qui on ne la fait pas : « Alors elle, avec ses cuissardes dorées, c’est bizarre, elle fait un show entre les trois poteaux, mais on ne sait pas qui c’est. Ça m’a l’air téléphoné tout ça. Je me demande si ce n’est pas une diversion. Je suis sûre que quelqu’un est sorti entre-temps. »

Il y a celui qui se renseigne, qui « se met à jour » : « C’est la mode les pantalons courts comme ça sur les hommes ? Chez nous, on appelle ça des feux de plancher, si si, un plancher en feu brûle les bas de pantalons ». « Moi j’aime bien les chevilles, ça ne me dérange pas », lui répond celle qui lui suggère, dans un second temps, de « s’habituer à tout, s’il veut rester dans le coup ».

« Ah non, c’est la pluie qui recommence à tomber, mais pas de star à l’horizon »

Il y a aussi l’insatisfaite, chez qui la dose de patience nécessaire fait défaut : « Je crois que j’en ai assez vu, ou pas assez justement. Je vais aller voir ce qu’il se passe au palais. » Il y a celui qui regrette « l’émission de Denisot pour Canal. Ah là on les voyait bien ! On pouvait prendre des photos, des selfies, tout ça… »

Il y a celle qui cherche son mari – « Il a dû aller m’attendre pas loin. Oh, je le retrouverais bien » – et qui me prend à part : « Vous savez mon mari, c’est un homme charmant, on ne partage pas les mêmes passions, c’est tout. Je ne lui en veux pas moi, c’est lui qui ne comprend pas pourquoi je m’intéresse tant à la vie de “gens qui ne savent même pas que j’existe”. Moi quand je vois toutes les stars qui se font trimballer en moto, je me dis qu’il aurait eu des clients avec sa [Honda] Gold Wing. On a peut-être raté notre vocation, allez savoir. »

Et puis, il y a celle qui cherche des signes : « Il doit y avoir quelque chose parce que les photographes sont tous derrière les arbres, regardez, moi en tout cas, je guette. Ah non, c’est la pluie qui recommence à tomber, mais pas de star à l’horizon. Et voilà, y a des jours comme ça. C’est comme la pluie. Un jour avec, un jour sans. »