L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Parce qu’un guérisseur l’a prescrit, le jeune Shin-hong, dynamique entrepreneur birman qui souffre d’insomnie chronique, achète quatorze pommes sur un marché de sa ville et entame un voyage ardu pour aller les croquer, une par jour, dans le monastère où il doit faire retraite afin de dormir enfin. Dans sa voiture japonaise qui brinquebale sur des pistes de tôle ondulée, Shin-hong a embarqué son meilleur ami, le réalisateur Midi Z.

Le jeune (36 ans) cinéaste navigue désormais entre ses diverses patries, la Birmanie où il est né, Taïwan où il a été longtemps exilé, la fiction qui l’a fait remarquer dans les festivals et les documentaires. En accompagnant Shin-hong, Midi Z s’aventure sur le terrain de la religion, miné en Birmanie. Pourtant son film, sans jamais renoncer à poser un regard critique, est empreint d’une beauté sereine, mu par un rythme ample, qui font que 14 Pommes à la fois le portrait instantané d’un pays instable et une bucolique birmane.

Avant d’arriver au monastère, il faut acheter les pommes. Cette première séquence, tournée dans un marché urbain illustre à merveille le talent de Midi Z. On y apprend la mondialisation du marché des fruits (les pommes les plus prestigieuses viennent de Californie, celles de seconde qualité de Thaïlande, les autres de Chine), et l’art du marchandage. On y entrevoit aussi des gens, vendeuse, badaud, qui, par la grâce du regard bienveillant et alerte du réalisateur, deviennent des personnages de cinéma.

Par la grâce de leurs gestes

Arrivés au village, les deux citadins, l’insomniaque et le réalisateur, prennent leurs marques. Il s’agit de cerner discrètement (Midi Z s’interdit le recours au commentaire) les inégalités sociales (absence ou présence d’un générateur, puisque le réseau électrique ne s’étend pas jusque-là, taille et aspect du cheptel) et les rituels. Tous tournent autour du monastère auquel les paysans remettent régulièrement des offrandes, riz et biscuits industriels, vêtements, ustensiles et – bien sûr – espèces.

Cette dîme volontaire représente une part non négligeable des maigres revenus des paysans, tout comme le long trajet des femmes qui portent l’eau de la source au monastère entame sérieusement leur emploi du temps. On le comprend en les suivant le temps d’un long plan séquence qui commence par le remplissage des seaux et se termine par les ablutions des bonzes. On est aussi saisi par la grâce de leurs gestes, par la légèreté que ces femmes opposent à la plus lourde des contraintes.

Midi Z montre la religion et ses servants comme une colle qui tient encore les morceaux d’une société animée d’une force centrifuge irrésistible

Dans l’enceinte, sommairement délimitée du temple (on est loin des dorures des sanctuaires des grandes villes), les villageois viennent demander l’intercession des religieux, prier ou discuter. C’est ainsi qu’on voit se dessiner une société en pleine mutation. Des jeunes filles viennent demander une bénédiction avant de partir travailler en Chine, où les attendent – elles le savent et l’expliquent aux moines – des conditions de travail proches de l’esclavage. Un moine demande à Shin-hong de l’initier aux rudiments du commerce. On voit aussi des conflits de voisinage s’apaiser par l’intervention d’un religieux, fût-il Shin-hong qui a accédé temporairement à d’importantes responsabilités.

Midi Z montre la religion et ses servants comme une colle qui est en train de se dissoudre mais qui tient encore les morceaux d’une société animée d’une force centrifuge irrésistible. Quand tout craque, la colle se fait liquide corrosif, comme l’a montré Barbet Schroeder dans Le Vénérable W., exploration de la face sombre, raciste, voire génocidaire, du bouddhisme birman. 14 Pommes en est le compagnon indispensable.

14 pommes - Bande annonce HD VOST
Durée : 01:24

Documentaire birman et taïwanais de Midi Z (1 h 24). Sur le Web : carlottavod.com/14-pommes

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 16 mai)

  • Senses 5, film japonais de Ryusuke Hamaguchi (chef-d’œuvre)
  • 14 Pommes, documentaire birman de Midi Z (à ne pas manquer)
  • En guerre, film français de Stéphane Brizé (à ne pas manquer), en compétition à Cannes
  • Des spectres hantent l’Europe, documentaire français et grec de Maria Kourkouta et Nikki Giannari (à voir)
  • Manhattan Stories, film américain de Dustin Guy Defa (pourquoi pas)
  • No dormiras, film espagnol et urugayen de Gustavo Hernandez (pourquoi pas)

Nous n’avons pas vu :

  • Corpo elétrico, film brésilien de Marcelo Caetano
  • Deadpool 2, film américain de David Leitch
  • Et mon cœur transparent, film français de David et Raphaël Vital-Durand
  • Tad et le secret du roi Midas, film d’animation espagnol d’Enrique Gato et David Alonso