Joueurs, dirigeants, supporteurs… Quelles que soient leurs générations, tous sont d’accord. A l’OM, les coupes européennes produisent quelque chose de spécial, une euphorie étrange qui emporte tout sur son passage. Pas étonnant, dans ces conditions, que l’Olympique de Marseille possède le record de France de finales européennes disputées. A Lyon mercredi 16 mai, le club vivra contre l’Atlético Madrid sa cinquième finale de coupe continentale.

La performance a été établie en moins de trois décennies et avec trois propriétaires différents, Bernard Tapie, Robert Louis-Dreyfus et l’Américain Franck McCourt. « Mais, à l’époque de Marcel Leclerc au début des années 1970, l’Europe était déjà un sujet qui enflammait les Marseillais », rappelle Jean-Pierre Bernès, ancien secrétaire général du club et enfant du cru.

Si l’OM reste, « à jamais le premier » club français à remporter la Ligue des champions en 1993 face au Milan AC (1-0) sur un but resté fameux de Basile Boli, il a aussi connu, avant et après cette date mythique, trois douloureux revers. Quatre finales au goût et à la genèse très différents, disputées par des équipes au profil incomparable, mais qui ont bâti la légende et la popularité du club marseillais. Chacune à leur manière, elles expliquent l’incroyable engouement qui a précédé la finale de la Ligue Europa 2018, pour laquelle seuls 11 000 supporteurs olympiens ont réussi à décrocher une place.

  • Bruno Germain, 58 ans, ex-joueur : « A Bari, nous étions si forts »

Bruno Germain, à Marseille, le 10 mai. / France Keyser pour Le Monde

Etoile rouge de Belgrade-OM (0-0, 5 tab à 3), 29 mai 1991, Bari (Italie)

Dans le football européen, les pères et fils qui ont disputé chacun une finale de Coupe d’Europe sont rares. Bruno Germain, père de Valère qui jouera mercredi avec l’OM contre l’Atlético Madrid, était de la première finale du club marseillais en 1991. A l’époque, la Ligue des champions s’appelait encore Coupe d’Europe des clubs champions. Et toute la France était derrière l’OM.

« Nous nous sentions très forts, et pas seulement au niveau national. La saison précédente, l’OM avait fini champion de France et atteint la demi-finale de la Coupe d’Europe avec cette élimination injuste à Lisbonne, sur un but marqué de la main. Nous nous disions qu’en le voulant vraiment, on pourrait gagner cette Coupe d’Europe. C’était une équipe mûre, avec beaucoup d’internationaux et des joueurs de 28-29 ans, comme Carlos Mozer, Chris Waddle, Jean-Pierre Papin, Manuel Amoros…

Jean Tigana nous a rejoints et il n’était même pas titulaire, c’est vous dire le niveau ! Bernard Tapie, en tant que président, mettait une pression dingue. Le credo, c’était tous les jours faire mieux, s’améliorer pour gagner ce titre, arriver au sommet européen. Les supporteurs disent qu’on aurait mérité de gagner, que c’était l’une des plus belles équipes de l’OM, avec le plus beau football. On sentait l’amour des gens, c’était génial. Pas qu’à Marseille, mais partout en France. Comme le Saint-Etienne de la fin des années 1970.

Nous étions encore dans une France du foot un peu complexée par les épopées sans victoire de Reims, des Verts, mais nous pensions être la génération qui allait gagner quelque chose. Nous en étions persuadés. Nous nous sentions forts. Un peu trop…

Face à l’Etoile rouge de Belgrade, nous avons fait une petite faute. On s’est dit que le temps allait jouer pour nous, qu’il fallait être patients, que nous étions supérieurs dans tous les domaines et que nous allions finir par l’emporter. Ils ont tenu le 0-0 jusqu’au bout, jusqu’aux tirs aux buts. Nous aurions dû leur marcher dessus d’entrée, jouer haut, les bousculer. Moi, je devais tirer le 6e penalty. Ce n’est pas arrivé jusque-là car les Yougoslaves ont réussi un sans-faute et Manuel Amoros, un de nos meilleurs joueurs, a loupé le sien.

Cet échec a cassé l’équipe. Bernard Tapie, qui connaissait parfaitement le football, a tout chamboulé. Valère, lui, avait 1 an. Depuis, il est resté un supporteur total de l’OM. »

  • Jean-Pierre Bernès, 61 ans, dirigeant : « Le Graal pour toute une ville »

Jean-Pierre Bernès, au Camp Nou, en avril 2015. / Jean Catuffe / Getty Images

OM-Milan AC (1-0) 26 mai 1993, Munich (Allemagne)

Dans l’ombre de Bernard Tapie, il est l’homme qui a géré le quotidien de l’OM de 1986 à 1993. Condamné dans l’affaire de corruption de joueurs VA-OM, radié par la Fédération française de football, Jean-Pierre Bernès a assumé et purgé sa peine avant de redevenir un acteur important du foot européen, agent notamment du sélectionneur national Didier Deschamps. Il reste amoureux de l’Olympique de Marseille, le club qu’il supporte depuis son enfance.

« Quand j’étais jeune, dans le milieu des supporteurs de l’OM, on rêvait déjà de gagner la Coupe d’Europe. Aujourd’hui encore, c’est le Graal pour toute une ville. Et nous, en 1993, nous l’avons ramenée au stade Vélodrome. Pour moi, qui suis de la région comme Eric Di Meco, cela reste un aboutissement inégalé. La Coupe d’Europe, un soir, je l’ai prise et j’ai dormi avec. C’est inoubliable.

Quelques jours avant la finale, nous allons à Milan avec Raymond Goethals, notre entraîneur, pour superviser le Milan AC. Dans l’avion du retour, j’étais tellement impressionné par cette équipe, la meilleure d’Europe, que je me suis mis à manger des gâteaux à la file. C’était nerveux ! Goethals a vu ça et m’a dit : « Ne t’inquiète pas, on va travailler. » Au siège du club, j’ai mis un tableau derrière mon bureau avec la photo de chaque joueur du Milan. Tous les jours, Raymond venait, il s’asseyait et on travaillait sur un joueur.

La défaite de 1991 nous avait servi de leçon et on a peut-être réussi une meilleure préparation. Tout le monde disait : « C’est le Club Med, c’est détendu. » C’était vrai. Mais à l’intérieur, je peux vous garantir que Tapie, Goethals ou moi, on bouillonnait. On savait qu’une nouvelle chance ne se présenterait pas, mais il ne fallait pas montrer notre angoisse aux joueurs.

De la finale, je me souviens surtout que Fabien Barthez nous fait gagner. Bien sûr, il y a la tête de Boli et ce seul but. Mais ce but n’aurait pas existé si Barthez ne fait pas une première mi-temps digne du meilleur gardien du monde. Sur le banc, j’étais en communication permanente avec Bernard Tapie. Quand Basile Boli demande à sortir, il me crie qu’il ne veut pas… Quand Boli l’a su, il s’est accroché. La deuxième mi-temps a été interminable, et après, tout a basculé dans l’irrationnel avec ce retour au Vélodrome le lendemain et Didier Deschamps qui présente la coupe aux Marseillais.

Chacun a pris conscience qu’on entrait dans l’histoire. L’élan populaire derrière nous était énorme, mais la victoire a généré aussi pas mal de jalousie. Aujourd’hui, je n’écoute pas ce qui se dit sur la manière dont on aurait gagné cette coupe. L’important, c’est que nous sommes au palmarès. Après, ce qu’il s’est passé [avec l’affaire VA-OM] est une autre histoire, qui m’a marqué à vie. J’ai assumé, j’assume mais je ne veux pas gâcher cette victoire de Munich. Cela n’a rien à voir. »

  • Santos Mirasierra, 43 ans, supporteur : « Un immense stade vide »

Santos Mirasierra, à Marseille, le 10 mai. / France Keyser pour Le Monde

Parme-OM (3-0), 12 mai 1999, coupe de l’UEFA, Moscou (Russie)

Pour Santos Mirasierra, la finale de la Ligue Europa contre l’Atlético Madrid a un goût particulier. En 2008, l’ancien porte-voix du Commando Ultra 84, plus ancien groupe de supporteurs de l’OM, a été arrêté puis condamné à trois ans et demi de prison pour « violences envers l’autorité » commises après un match de Coupe d’Europe contre l’équipe espagnole. A Lyon, il vivra sa quatrième finale européenne.

« Cette finale de 1999 était seulement mon septième déplacement avec le groupe. J’étais allé à Munich en 1993, et là, à Moscou, j’avais 25 ans. Après être descendu en deuxième division, l’OM refaisait parler de lui en Europe et, nous, les supporteurs, on suivait. On avait retrouvé cet engouement des années 1990, avec une très belle campagne européenne avec des matchs à Vigo, en Espagne, et à Bologne, en Italie.

Mais pour la finale, il n’y a pas eu de cohue comme celle de cette année. Cela se jouait à Moscou, il fallait payer l’avion, on se demandait tous s’il fallait un visa, un passeport… Au final, les Marseillais étaient 3 500 seulement. Et les Parmesans, à peine quelques centaines. Le stade, immense, était vide.

Mon premier souvenir, c’est le temps. Il faisait beau en quittant la Provence et en atterrissant, j’étais au bord du hublot et je vois quelques flocons tomber. En mai ! Les Marseillais n’y croyaient pas.

Nous y sommes allés avec de l’espoir, comme toujours, mais on savait que Parme était beaucoup plus fort que nous. L’OM avait une équipe qui tenait la route. Elle a joué le titre en championnat de France jusqu’au bout contre Bordeaux. Nous avions Laurent Blanc, Fabrizio Ravanelli, Florian Maurice, Robert Pirès, Stéphane Porato dans les cages… Et l’entraîneur était Rolland Courbis.

Mais la demi-finale à Bologne s’était terminée en bagarre et Christophe Dugarry et Peter Luccin avaient été suspendus. A l’époque, Parme une des meilleures équipes d’Europe avec Thuram, Boghossian, Buffon, Cannavaro, les Argentins Veron et surtout Crespo, le Cavani de l’époque, un joueur que j’adorais pour son envie, sa grinta…

Au stade, les policiers russes étaient partout. Ils refusaient de nous laisser rentrer avec nos banderoles, nos drapeaux. Dès qu’on se mettait debout sur les sièges, ils venaient nous matraquer derrière les genoux. Parme a marqué tôt. Les Italiens menaient 2-0 à la mi-temps. Ils ont tué le match et cassé l’ambiance. La deuxième mi-temps était un calvaire… Le retour, forcément, aussi. »

  • Aurore Gaillard, 35 ans, supportrice : « Tellement déçue pour Didier Drogba »

Aurore Gaillard, à Marseille le 13 mai. / France Keyser pour Le Monde

Valence-OM (2-0), 19 mai 2004, finale de la Coupe UEFA, Göteborg (Suède)

Entrée dans le groupe de supporteurs Marseille Trop Puissant (MTP) à l’âge de 15 ans, Aurore Gaillard fait partie, en 2004, du noyau dur des MTP et de sa section « Cagoles ». Habilleuse dans l’audiovisuel, elle n’est plus aujourd’hui abonnée au stade Vélodrome mais garde une passion intacte pour le club.

« Les images de la vente des billets pour le match de Lyon m’ont fait revivre celles de la finale de 2004. A l’époque, pendant dix jours, je me suis occupée à distribuer les places avec une amie et de remplir l’avion affrété par les MTP. C’était le même engouement, la queue devant le local avant l’ouverture et la joie des abonnés quand nous leur donnions leurs billets. Mais il y avait deux fois plus de places disponibles : 25 000 Marseillais sont montés en Suède.

Le jour du match, je devais passer l’examen de mon BTS action commerciale, mais pour moi, le choix était évident : c’était Göteborg et la finale. D’ailleurs, je n’ai jamais eu cet examen. Quand tu es investie à ce point dans un groupe de supporteurs, cela occupe toute ta vie sociale et prend le dessus sur tout. Il y a tellement de choses à faire : préparer les déplacements, les bâches, les tifos…

En Suède, cela s’est très bien passé. Beaucoup mieux que pour des déplacements en France où les centres des villes nous étaient interdits comme à Lyon ou à Bordeaux. On a laissé les supporteurs marseillais se balader. Et avec les Espagnols, les rencontres étaient très détendues.

Pour moi, cette saison reste à jamais celle de Didier Drogba. Ce qu’il a fait en seulement une année ici est tout simplement exceptionnel. Il portait le maillot de l’OM comme personne et entraînait toute l’équipe derrière lui, transformant des joueurs comme Dos Santos, Meriem, Flamini… Il les poussait à tout donner. Dans la section Cagoles, nous étions toutes dingues de lui.

Quelques jours avant le match, il s’est blessé en championnat et cela l’a diminué pour la finale. Quand Valence a gagné, j’étais tellement déçue pour lui et en colère contre Fabien Barthez d’avoir tué le match en se faisant expulser. Tous les Marseillais râlaient après l’arbitre italien, mais pour moi, le responsable de la défaite, c’est Barthez. Il nous vole cette finale et prive Didier Drogba d’une coupe qu’il aurait méritée.

Mon dernier souvenir est plus drôle. Ce sont les groupes de supporteurs de l’OM qui ramassent du bois et font un feu devant le stade de Göteborg pour se réchauffer en attendant que les bus nous ramènent à l’aéroport. En Suède, il ne faisait pas chaud comme à Marseille. »