Le projet Transfermuga vise à développer les relations transfrontalières entre l’Espagne et la France, tout en diminuant l’emprise de la voiture individuelle. / Julien De Labaca CC BY 3.0 FR

Au Pays basque, l’automobile se joue des frontières. Sur les routes qui relient Bayonne, en France, à Saint-Sébastien, en Espagne, le trafic est ininterrompu et l’absence de poste de douane n’étonne plus personne. Mais le rêve européen s’arrête avec le moteur de la voiture. Pour qui veut emprunter les transports en commun, le voyage se complique.

Les ennuis commencent dès la consultation d’Internet, où les portails des différents opérateurs ignorent les liaisons de leurs proches voisins. Au-delà de Saint-Jean-de-Luz, l’application de la SNCF ne connaît plus le train et conseille aux voyageurs d’utiliser la route. Sur place, les difficultés continuent. La grande majorité des trains s’arrêtent en effet à la frontière, la faute à l’écartement des rails qui varie selon l’opérateur : 1,40 m côté SNCF, 1,60 m pour la Renfe espagnole, 1 m pour l’Euskotren, la compagnie basque. Du côté des lignes publiques de car et de bus, ce n’est guère mieux, cette fois à cause de la limite administrative.

Transfermuga.eu affiche en quatre langues l’ensemble des solutions offertes pour traverser la frontière : avion, bus, train, vélo, marche à pied et même bateau

Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que 90 % des trajets transfrontaliers s’effectuent en voiture, comme l’a montré une étude menée par l’Eurorégion, une instance destinée à la coopération locale, pilotée depuis sa création en 2011 par des élus des trois régions frontalières : la Nouvelle-Aquitaine, en France, l’Euskadi et la Navarre côté espagnol.

C’est de ce constat qu’est né Transfermuga, un dispositif original qui s’inscrit dans une dynamique à la fois européenne et écologique. Lancé par l’Eurorégion et son équipe de cinq salariés, il vise à développer les relations transfrontalières, tout en améliorant l’offre de transports en commun pour diminuer l’emprise de la voiture individuelle.

Gare d'Hendaye. Dispositif transfrontalier Tranfermuga / Julien De Labaca CC BY 3.0 FR

La première bataille se joue sur le front de l’information aux voyageurs. Le portail Web Transfermuga.eu affiche en quatre langues (français, espagnol, anglais et basque) l’ensemble des solutions offertes pour traverser la frontière : avion, bus, train, vélo, marche à pied et même bateau avec la navette fluviale qui relie Hendaye à la cité historique de ­Fontarrabie, de l’autre côté de la rivière Bidassoa. Le site détaille les conditions de voyage avec une rubrique « bons plans » et une page consacrée à la concertation pour faire remonter les idées. En quelques clics, on peut aussi comparer, par le biais d’un calculateur d’itinéraires, la durée des trajets d’une dizaine d’opérateurs selon les modes de transport, ainsi que les tarifs des bus.

L’originalité du projet réside dans sa logique d’ouverture et de mutualisation des données, assez exemplaire dans un secteur où les crispations sont nombreuses. Le principal défi étant de faire travailler ensemble des partenaires publics et privés, issus de pays aux histoires et aux environnements juridiques différents. « Chez nous, en Espagne, les compétences des régions sont plus fortes qu’en France. Ce n’est pas le même rythme, les mêmes budgets, et ces différences freinent souvent des projets pourtant nécessaires au développement économique », constate Miguel Angel Crespo, directeur de l’aménagement du territoire de la province de Guipuzkoa, côté espagnol. « On a joué le rôle de plate-forme publique qui donne l’impulsion, connecte tout le monde et produit les outils, chacun des partenaires choisissant ensuite la façon dont il vient collaborer », souligne Julien de Labaca, l’ingénieur spécialisé dans les transports à l’Eurorégion.

« Le but, c’est de créer des transports qui ne partent pas de la frontière mais la traversent », affirme Miguel Angel Crespo, directeur de l’aménagement du territoire de la province de Guipuzkoa

La création d’un « commun » du transport transfrontalier doit beaucoup à ce passionné de logiciels libres et d’open data. Les outils de Transfermuga sont open source, les trajets s’affichent sur OpenStreetMap, le logiciel de cartographie collaborative. Les partenaires s’engagent à ouvrir leurs données sous la licence de leur choix s’ils veulent avoir accès au calculateur d’itinéraires. En échange, ils peuvent afficher sur leur site le comparateur.

Sur le terrain aussi, l’information s’est améliorée. En gare d’Hendaye, ce matin d’avril, quelques touristes s’abritent de la pluie battante non loin d’un panneau électronique digne d’une gare parisienne. S’y affichent les horaires des trains français, du métro basque et ceux des bus transfrontaliers.

D’autres zones frontalières intéressées

Le dispositif numérique se prolonge par des transformations physiques. Pour les habitants d’Hendaye et d’Irun, deux cités qui se font face de part et d’autre de la frontière, une nouvelle ligne d’autobus, Hegobus, relie depuis un an et demi les centres-villes. Six mille Espagnols vivent à Hendaye, où les loyers sont moins chers. Pour Mathieu Bergé (Génération. s), conseiller régional Nouvelle Aquitaine siégeant à l’Eurorégion, « l’Europe ne se construit pas dans les capitales mais aux frontières. Il faut qu’on soit capable de proposer des politiques publiques transfrontalières écologiques ».

La coopération a aussi ses limites, et d’autres projets attendent dans les cartons. A cinq cents mètres de la gare d’Hendaye, au-delà du pont qui matérialise la frontière, la gare internationale d’Irun propose des lignes d’autocars vers Madrid ou Barcelone, mais la connexion directe avec la France peine à voir le jour. Un projet de liaison Bayonne - Saint-Sébastien par autocar est à l’étude. « La mutualisation des données n’est qu’une première étape. Le but, c’est de créer des transports qui ne partent pas de la frontière mais la traversent », précise ­Miguel Angel Crespo.

En partie financé sur fonds européen, Transfermuga, laboratoire d’une citoyenneté transfrontalière, pourrait intéresser d’autres acteurs en Europe, notamment la zone frontière entre la Serbie et la Croatie ou la métropole de Lille.