Le premier ministre indien Narendra Modi et le président du Parti du peuple indien (BJP, nationaliste hindou, au pouvoir) Amit Shah, le 15 mai à New Delhi, après l’annonce des résultats des élections dans le Karnataka / CHANDAN KHANNA / AFP

C’est un « thriller politique » dont la démocratie indienne a le secret. Les Indiens devaient connaître mardi 15 mai au matin le nom du vainqueur des élections dans l’Etat du Karnataka (sud-ouest), l’un des derniers bastions détenus par le Parti du Congrès. Ils devront attendre encore quelques jours pour savoir si le vieux parti de l’indépendance a été emporté ou non par la vague nationaliste hindoue du Parti du peuple indien (BJP).

Annoncé comme victorieux en début de journée, le BJP est finalement arrivé en tête, mais sans obtenir de majorité au Parlement régional. Ses supporteurs ont vite rangé pétards et drapeaux pour suivre sur leurs smartphones les multiples rebondissements de cette journée électorale. Le Parti du Congrès, affaibli mais pas anéanti, a immédiatement apporté son soutien au parti régional du Janata Dal (Secular), arrivé troisième, pour former une coalition et couper l’herbe sous le pied de son ennemi du BJP.

Mais nouveau coup de théâtre : le gouverneur de l’Etat du Karnataka, Vajubhai Vala, issu du BJP, a préféré attendre avant de leur confier la formation du gouvernement. Il pourrait offrir un peu de répit aux nationalistes hindous, le temps pour eux de braconner quelques parlementaires supplémentaires dans le camp adverse, et de parvenir ainsi à la majorité. C’est ce que l’on appelle en Inde la resort politics ou la « politique des hôtels », un endroit à l’abri des regards où se mènent des tractations pas toujours très avouables.

Sur les plateaux des chaînes d’information en continu, les commentaires politiques ont vite laissé place à des débats juridiques. La Constitution autorise-t-elle un gouverneur à favoriser le parti arrivé en tête, plutôt que la coalition de majorité parlementaire, pour former un gouvernement ? Jamais les chaînes de télévision indiennes ne s’étaient autant intéressées à la Constitution.

Machine électorale sophistiquée

Tous les regards en Inde sont désormais rivés sur ce scrutin régional à dimension nationale. Le Karnataka était l’un des quatre derniers Etats indiens, sur les 29 que compte le pays, dirigé par le Parti du Congrès. Rahul Gandhi, héritier de la dynastie des Nehru-Gandhi, n’a pas pu empêcher une nouvelle défaite, ce qui risque de le décrédibiliser encore davantage à seulement un an des élections générales, en 2019.

Les résultats enregistrés par le BJP confirment en revanche sa bonne dynamique électorale, emmenée par M. Modi. Le parti dirige 20 Etats, soit 70 % de la population indienne. Une victoire dans le Karnataka, riche et densément peuplé, a une valeur symbolique importante pour les nationalistes hindous. Le parti s’est longtemps cantonné à la ceinture hindiphone du nord de l’Inde ; le Karnataka lui ouvre les portes du sud du pays. M. Modi y a d’ailleurs effectué pas moins de 21 meetings lors de ces dernières semaines.

Cette victoire est cependant loin d’être un sacre. Le BJP a récolté dans cet Etat moins de voix que lors des élections nationales de 2014. En pourcentage de votes, il est au coude à coude avec son rival du Congrès. Mais c’est une victoire du BJP en nombre de sièges, la seule qui compte dans la démocratie parlementaire indienne. La machine électorale du BJP est bien plus sophistiquée que celle du Congrès. « Elle a fait preuve d’une remarquable capacité à concentrer ses ressources, à tisser de larges coalitions sociales, et à investir dans une puissante organisation », observe Prashant Jha, journaliste au quotidien Hindustan Times.

D’autres scrutins régionaux vont avoir lieu à la fin de l’année dans trois Etats importants du nord de l’Inde. Et le BJP devra, cette fois, conserver ses positions dominantes. A un an des élections générales, la force du BJP repose sur M. Modi, et celle du Parti du Congrès sur des alliances avec des partis régionaux, voués à jouer un rôle significatif lors du scrutin national de 2019.