Rudi Garcia, lors de la demi-finale aller de Ligue Europa au Stade-Vélodrome, le 26 avril 2018. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

Rudi Garcia n’a pas été élu meilleur entraîneur de Ligue 1 de la saison 2017-2018. La récompense, décernée dimanche 13 mai par les acteurs du football professionnel français, est revenue à Unai Emery, le coach déchu du Paris-Saint-Germain. Qu’importe. Mercredi 16 mai, sur le coup des 22 h 45, le coach de l’Olympique de Marseille visera un objectif bien plus important à ses yeux. Devenir le premier entraîneur français à remporter une Ligue Europa et à ramener l’OM sur le – petit – sommet de l’Europe.

Ses tenues d’entraînement sont marquées « R. G. ». Et les supporters marseillais ont bien noté que ces initiales sont les mêmes que celles de Raymond Goethals. Vingt-cinq ans après la victoire du mythique technicien de l’OM en Ligue des champions, la prémonition se savoure, mais la comparaison s’arrête là. Mâchoire carrée, voix puissante, débit de banlieusard parisien – naissance Nemours, enfance dans l’Essonne –, Rudi Garcia, 54 ans, affiche une personnalité sans rapport avec celle du vieux coach belge, noms écorchés, cigarette (Gauloise bleue) au bec et regard matois.

Avec sa prestance, – 1,80 m, ligne impeccable, son élégance peaufinée pendant sa période romaine, sa maîtrise de l’italien et de l’espagnol, Rudi Garcia a le profil de l’entraîneur du XXIe siècle. Lui dont la carrière de milieu offensif n’a marqué personne (Lille, Caen, Martigues, déjà dans les Bouches-du-Rhône) – semble taillé pour ce rôle, pratiqué successivement au Mans (2007-2008), à Lille (2008-2013) puis à l’AS Rome (2013-2016).

« Je lui ai dit clairement que Rudi ne viendrait pas à l’OM »

Frank McCourt et Jacques-Henri Eyraud ne s’y sont pas trompés. En quête de fondations solides pour leur « Champions Project », le nouvel actionnaire et le président de l’OM ont pris le temps de faire la cour à Rudi Garcia, tout comme ils étaient allés séduire Andoni Zubizarreta, l’ex-directeur sportif du FC Barcelone. « Le président Eyraud m’a contacté pour la première fois en août 2016, raconte Pascal Boisseau, qui, avec son frère Sébastien, gère la carrière de l’entraîneur. Et je lui ai dit clairement que Rudi ne viendrait pas à l’OM. »

La réaction n’étonnera personne. A cette époque, le club marseillais subit encore les errances de l’ère Louis-Dreyfus. Et Rudi Garcia ne veut pas revenir en Ligue 1. L’homme a goûté avec appétit à la Serie A et rêve plutôt d’Espagne, le pays de ses grands-parents qu’il dit « avoir dans le sang ».

Cette Espagne où, chaque été, il se ressource auprès de ses amis dans le petit port andalou de Garrucha. La ténacité de Jacques-Henri Eyraud et la perspective de pratiquer son métier dans une ville dingue de football finiront par le convaincre. « Ce club, je l’ai aussi choisi pour ça. Il est méditerranéen avec le meilleur public de France, une tifoseria chaude qui est derrière son équipe et ses joueurs. C’est émouvant de donner de la joie à nos fans », reconnaît-il aujourd’hui.

Rudi Garcia au milieu de ses joueurs après la demi-finale de Ligue Europa, le 26 avril 2018 à Marseille. / ERIC GAILLARD / REUTERS

Dix-neuf mois après son arrivée, Rudi Garcia ne regrette rien. A l’OM, il se sent désormais chez lui. Dimanche 6 mai, pendant le match contre l’OGC Nice, il a piqué une tête dans le gazon du Stade-Vélodrome, sidérant les 55 000 spectateurs présents. Un penalty oublié pour son équipe ? Le coach s’écroule comme foudroyé et roule sur lui-même. « Je vis les matches, tout le monde ne fait pas tout bien, c’est mon personnage », s’excuse-t-il. « Il était dans la partie à 150 %. Comme s’il la regardait dans son salon », s’amuse un ami. En septembre 2017, le stade grondait en voyant l’OM s’incliner 3-1 contre Rennes, après une déroute 6-1 à Monaco. Au printemps, il vibre avec son coach volcanique.

Conseil des sages

Cette saison à l’OM, Rudi Garcia a surtout confirmé qu’il savait gérer les hommes. Après un marathon de 60 rencontres – la finale sera la 61e –, son groupe affiche une fraîcheur d’esprit, une bonne humeur et un sens du collectif qui sidèrent adversaires et supporters. « Il veut que tout le monde soit concerné, ça tourne beaucoup. Il nous apporte grinta et rigueur au quotidien », confirme l’international Dimitri Payet. « Le coach nous a inculqué un état d’esprit : l’équipe avant tout », complète Florian Thauvin, l’autre star de l’attaque marseillaise.

Comme à Lille ou à Rome, Rudi Garcia responsabilise ses joueurs. Payet, Luiz Gustavo, Adil Rami, Rolando, Steve Mandanda forment un conseil des sages qu’il consulte régulièrement. « Il nous parle souvent, essaie d’avoir un rapport fusionnel avec l’équipe. Il n’est pas toujours tendre, car il est perfectionniste », confirme Adil Rami qui, comme Payet, l’a connu à Lille.

Une anecdote témoigne de la capacité de Rudi Garcia à transmettre sa motivation. En décembre, il reçoit le gardien remplaçant Yohann Pelé pour lui annoncer sa titularisation en Coupe de la Ligue contre Rennes. L’entretien est court, mais porteur. « Il lui a dit : la saison dernière, tu as été exceptionnel et tu nous as permis d’atteindre la Ligue Europa. J’ai toute confiance en toi. Quand Yohann est sorti, il était gonflé à bloc », raconte un proche.

Cinq mois plus tard, c’est le même Pelé, qui sauvera l’OM en demi-finales retour à Salzbourg (2-1). En course pour le podium national, avant la dernière journée, samedi 19 mai, qualifié pour une finale européenne, Rudi Garcia a fait taire ceux qui doutaient de ses capacités tactiques. Comme l’ex-joueur Jérôme Rothen devenu consultant, qui, en début de saison, le voyait comme « un frein à l’évolution de l’OM ».

L’hommage de Totti

« Rudi n’est pas considéré à sa juste valeur… Il fait partie des très grands entraîneurs mondiaux », s’agace son agent Pascal Boisseau qui met en avant le parcours de son protégé. Un doublé Coupe de France-championnat en 2011 avec Lille, deux places de second en Serie A italienne avec l’AS Rome en 2014 et 2015 et cet incroyable début de saison record de dix victoires consécutives pour sa première année romaine. « J’étais heureux de l’avoir rencontré sur mon chemin », dit, de lui, Francesco Totti, icône du football italien. « C’est un coach exceptionnel dont je voudrais m’inspirer », embraye son ex-coéquipier Daniele De Rossi.

Face aux journalistes qui lui demandent d’évoquer Diego Simeone, son rival de l’Atletico Madrid, Rudi Garcia fait pourtant profil bas : « C’est un grand entraîneur. Il a gagné le championnat d’Espagne, la Coupe d’Europe, il joue la Ligue des champions tous les ans. On ne peut pas établir de comparaison entre lui et moi. »

L’humilité n’empêche pas l’ambition. Alors que Jacques-Henri Eyraud a déjà annoncé qu’il resterait l’entraîneur de l’OM la saison prochaine, Rudi Garcia a encore deux matches à négocier. Dans son entourage, on le dit « épuisé par cette année de dingue ». Fatigué ou pas, Rudi ne flanchera pas. « Quand on bataille toute la saison pour une Coupe d’Europe, c’est pour la jouer à fond », a-t-il déjà prévenu.