Marcello Fonte sur une terrasse de l’hôtel Barrière Majestic à Cannes, le 16 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Sélection officielle – en compétition

L’histoire de Marcello, toiletteur pour chiens, qui fait de la pâtée avec son ami Simoncino, abruti musculeux récemment sorti de taule. A ce stade éreintant du marathon cannois, avouons honnêtement la tentation préalable, devant un tel « pitch », de classer sans suite, au rayon petite boutique des horreurs ou mieux « Palme Dog ». Le sens du devoir aidant, on évitera cette grossière erreur. D’abord, tout métier a sa noblesse. Ensuite, le réalisateur se nomme Matteo Garrone, et peut nous sortir à tout moment un ­calibre de sa manche. On se souvient évidemment de Gomorra (2008) avec le maestro Toni Servillo, terrifiante chro­nique mafieuse adaptée du livre de Roberto Saviano, interprétée en dialecte napolitain par quelques gâchettes locales, Prix du jury ici même.

L’avant et l’après sont certes moins connus en France. L’Etrange Monsieur Peppino (2002), pour le meilleur, et Tale of Tales (2015), pour le pire, témoignent en tout cas du tropisme napolitain de ce Romain de naissance (1968), de son goût consommé de la violence farcesque et de la monstruosité, en un mot de son appétence baroque pour une satire saignante de son si beau pays. Vieille tradition locale. Marcello toilette donc les toutous de cette ville maritime hideuse et blafarde, non identifiée mais qu’on subodore périphérique à Naples, amoncellement architectural apocalyptique, où périclitent des jardins d’enfants dévorés par la rouille. Tourbe, plomb, grisaille, misère : amoureux de l’Italie riante, passez votre chemin.

Une horreur supérieure

Or, un jour, Simoncino, récemment libéré, vient frapper à la porte de Marcello. Pas un cadeau, Simoncino. Carrure de lutteur de foire, survêtement jaune malpropre à trois bandes, gueule du type qui a plus d’une case en moins, cocaïné jusqu’à la moelle, aussi bête que brutal, définitivement insensible tant aux vertus du ­dialogue qu’à celles de l’élévation de l’esprit. Tout le contraire de Marcello, petit homme contrefait, voix de fausset, tête italienne antique, le cœur sur la main, les mots doux, amoureux des bêtes, père d’une ravissante fillette.

Une scène du film italien de Matteo Garrone, « Dogman ». / GRETA DE LAZZARIS/LE PACTE

Quand Simoncino ne frappe pas à la porte de Marcello, il frappe sur tout ce qui bouge, y compris à l’occasion sur Marcello

Si Simoncino frappe à la porte de Marcello, c’est que ce dernier se livre, pour arrondir les fins de mois étiques que lui procure son activité de toiletteur canin, au trafic léger de stupéfiants. Et quand Simoncino ne frappe pas à la porte de Marcello, il frappe sur tout ce qui bouge, y compris à l’occasion sur Marcello, terrorisant la ville et entraînant ce dernier dans une spirale délinquante dont le petit homme, par fidélité, paiera les pots cassés en refusant de donner son ami et en passant un long séjour en prison à sa place. Service mal rétribué par Simoncino, sourd à tout sentiment humain autre que le rapport de force, et pour lequel ni morale, ni amitié, ni respect de la vie humaine ne tiennent.

C’est à ce moment, pour ne pas en dire plus avant sa sortie du 11 juillet, que le film bascule dans une horreur supérieure et que nous prenons quant à nous la tangente en évoquant plutôt une séquence antérieure, la toute première du film, dont il y a lieu de penser qu’elle en éclaire brutalement le propos. Intérieur de la boutique Dogman : en très gros plan, un molosse blanc musculeux, babine retroussée, crocs apparents, le corps vibrant de soubresauts, attaque de toute sa puissance le gringalet Marcello, qui s’agite comme un moucheron autour de lui pour lui faire une toilette. Sans la chaîne qui retient le chien, Marcello lui servirait indubitablement d’apéritif. Ironie de la scène, c’est tout le contraire qui se produit. A force de douceurs, de mots d’amour, et de biscuits, Marcello passe le ventilateur sur la bête qui en frétille de plaisir.

Réplique trash de Mussolini

Ce passage de la pure sauvagerie à l’espace transactionnel de la relation est d’autant plus remarquable que ce qui est vrai du chien ne l’est pas de l’homme qui, pour ainsi dire, lui succède. Croyez bien qu’on déplore le scandale de cette constatation. Mais il suffit de voir Simoncino. Or, voir Simancino, pour trancher le mot et s’excuser platement auprès d’Edoardo Pesce, c’est un peu voir, tant la ressemblance est troublante, une réplique contemporaine, lumpenprolétarisée et trash de Benito Mussolini. L’exaltation de la force, l’ordre unique qui implique la destruction d’autrui, l’abjection voyoucratique et fasciste dans toute sa splendeur. Pire encore, la contagion que l’usage aveugle de cette force finit par exercer chez tous les personnages du film.

Mais de quel pays lointain nous parle donc Matteo Garrone ? Du sien sans doute, où les deux partis vainqueurs des dernières élections législatives italiennes sont le parti populiste M5S et la Ligue d’extrême droite. Plus largement peut-être de notre continent, où l’ombre totalitaire progresse chaque jour, enrégimentant partout les Simoncino. Autant aller voir dès que possible la farce macabre de Garrone pour savoir exactement, si ça continue comme ça, ce qui nous attend.

DOGMAN (2018) di Matteo Garrone - Trailer ufficiale HD
Durée : 01:31

Film italien de Matteo Garrone. Avec Marcello Fonte, Edoardo Pesce, Alida Baldari Calabria (1 h 42). Sortie en salle le 11 juillet. Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/dogman