La chancelière allemande, Angela Merkel, discute avec le président serbe, Aleksander Vusic (à droite), et son homologue kosovar, Hashim Thaci (deuxième à partir de la gauche), devant le Palais national de la culture, à Sofia, jeudi 17 mai. / Darko Vojinovic / AP

L’Iran, Gaza, le commerce, la relation avec Washington et… les Balkans occidentaux. Au grand dam des six pays concernés, le thème censé être le principal du sommet qui se tenait jeudi 17 mai, à Sofia, a évidemment été éclipsé par de brûlantes questions d’actualité. C’était pourtant un moment très attendu – depuis quinze ans – par ces pays qui patientent à la porte de l’Union et s’efforcent de croire que tous leurs partenaires européens sont sur la même ligne que le président du Conseil, Donald Tusk. Lequel les assure que leur « choix géostratégique » doit rester celui de l’Europe communautaire.

Arrivant jeudi matin au Palais de la culture de la capitale bulgare, une majorité de chefs d’Etat et de gouvernement s’est évidemment efforcée de rassurer les dirigeants de l’Albanie, de la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine et le Kosovo.

On leur promet des mesures de soutien, un plan de « connectivité » destiné à faciliter les échanges entre eux ainsi qu’entre eux et l’Union, un intérêt accru pour les défis migratoire et sécuritaire auxquels ils sont, eux aussi, confrontés, etc.

On leur trace également une « perspective européenne », sans laquelle, prophétisait récemment Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, de Bruxelles, « nous allons revivre tous les malheurs que nous avons connus pendant les années 1990 ». A savoir des guerres qui avaient aussi souligné la faiblesse de l’Union, laquelle allait, pour tenter de se rattraper et de redorer son image, procéder ensuite à une vague d’élargissements mal préparés.

« Il faut plus de stabilité et de sécurité »

Cette fois, il n’est cependant plus question d’adhésion au bloc européen dans les communiqués. « Ce n’est pas un sujet pour Sofia », avait insisté l’entourage de M. Tusk. Oubliée, la promesse formulée… en 2003, à Thessalonique, en Grèce.

Officiellement, parce que le sujet est pour le moins prochain : c’est en juin que les Etats membres devront dire s’ils se rangent, ou non, à l’avis de la Commission, qui suggérait, à la mi-avril, d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Albanie et l’Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM). Le Monténégro s’est vu, lui, octroyer le statut officiel de candidat en 2010, la Serbie en 2012.

Pourront-ils être intégrés en 2025, comme le leur promet M. Juncker ? Ce n’est pas certain. Parce que beaucoup de dirigeants ont tiré les leçons des dernières vagues d’élargissement, estimant qu’elles ont plombé le projet européen. Parce qu’ils mesurent l’hostilité de leur opinion, surtout à un an d’un scrutin européen qui pourrait voir, dans de nombreux pays, la montée des courants populistes, eurosceptiques ou europhobes. Parce qu’ils estiment qu’avant d’intégrer de nouveaux membres, l’UE doit se réformer en profondeur.

« Chacun aura sa chance d’être admis s’il respecte les conditions nécessaires », nuançait jeudi matin la présidente lettone, Dalia Grybauskaité. « Le canal du dialogue doit rester ouvert, mais il faut plus de stabilité et de sécurité », souligne le premier ministre belge, Charles Michel.

Le président Macron est le plus explicite : certes, « l’ancrage » des Balkans occidentaux à l’Europe est nécessaire, dit-il, mais au cours des quinze dernières années, le fonctionnement de celle-ci a été « affaibli ». Ce ne serait donc pas lui « rendre service », pas plus qu’aux pays concernés, que d’évoquer une entrée prochaine de nouveaux membres. « Ni laxisme, ni hypocrisie », préconise le président.

Tensions et différends

Les dirigeants des pays des Balkans avaient tenté, au cours des dernières semaines, de multiplier les contacts diplomatiques et médiatiques pour défendre leur cause. Conscients, toutefois, que la liste des problèmes à régler entre eux, ainsi qu’entre eux et des pays membres de l’Union, complique singulièrement leur tâche.

Au premier rang des questions en suspens, les tensions entre la Serbie et son ancienne province du Kosovo. L’Espagne, la Grèce, Chypre, la Slovaquie et la Roumanie n’ont jamais reconnu la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, en 2008. Mariano Rajoy, le chef du gouvernement de Madrid, avait d’ailleurs décidé de rompre l’unité de façade du sommet en renonçant à l’idée être présent à ce sommet de Sofia.

La Grèce est, elle, toujours engagée dans un différend avec la Macédoine, à laquelle elle refuse l’utilisation d’une dénomination semblable à celle de sa province du nord. Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, devait rencontrer son homologue macédonien, Zoran Zaev, jeudi en marge de la réunion. Les deux pays poursuivent des négociations censées déboucher sur un compromis qui permettrait un déblocage du processus d’adhésion, en juin.

« S’ils n’y arrivent pas, cela pourrait nous aider », commente anonymement un dirigeant. Sous-entendu : la persistance d’un désaccord renverrait à plus tard une réponse à la suggestion de la Commission sur le lancement du processus d’intégration et éviterait aussi de trancher la question de l’Albanie.

Rôle accru de la Russie, de la Chine et de la Turquie

Les hésitations de beaucoup sont, en revanche, tempérées par un constat : trop de prudence des Vingt-Huit à l’égard de ces voisins proches pourrait aussi bénéficier à la Russie, la Chine ou la Turquie, qui entendent toutes jouer un rôle accru dans la région et contester, notamment, la prépondérance économique de l’Union. Celle-ci truste 73 % des relations commerciales des six pays concernés.

Les conclusions du Sommet n’évoquent, en tout cas, pas la question de l’influence russe, sauf pour souligner la nécessité d’une coopération avec l’Union « contre la désinformation et d’autres activités hybrides ».

Les dirigeants européens se rassurent quant à la possibilité de retarder encore les échéances en constant la faiblesse de la présence économique russe dans la région. Ou le fait que les partis prorusses n’ont pas réussi à conquérir le pouvoir au Monténégro – un pays membre de l’OTAN depuis 2017 –, tandis qu’ils l’ont perdu récemment en Macédoine.