Au Bourget et à La Courneuve. / BRUNO FERT POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». Le « 9-3 » – autrement dit la Seine-Saint-Denis, comme personne ne peut l’ignorer tant ces chiffres sont devenus le symbole des banlieues « difficiles » et des ghettos urbains – détient un triste privilège. Aux portes de Paris, ce département, où vit 1,6 million d’habitants, offre un concentré de toutes les fractures qui minent la société française.

Ce constat est désolant, car les quelques lignes qui précèdent sont, à l’identique, celles que nous publiions déjà, en 2011, à propos de ce département francilien. Il a quelque chose de désespérant, tant il s’enracine dans une histoire désormais vieille de trois ou quatre décennies.

Les rapports innombrables, les visites ministérielles incessantes, les indicateurs les plus cruels, les cris d’alarme des élus locaux et leur lassitude croissante, les bouffées de violence récurrentes, l’insécurité endémique qui sape la qualité de vie quotidienne, l’inquiétude lancinante devant les dérives communautaires, ou encore les mises en garde d’un Jean-Pierre Chevènement en 1998 ou d’un Manuel Valls en 2015 contre la menace d’« apartheid social » : rien n’y a fait. Comme si, en dépit des proclamations officielles et des solidarités locales, ce territoire en déshérence était victime d’une fatalité.

Des sous-effectifs de fonctionnaires « injustifiables »

L’enquête menée par deux députés, François Cornut-Gentille, élu Les Républicains de Haute-Marne, et Rodrigue Kokouendo, élu La République en marche de Seine-et-Marne, le confirme. Leur rapport d’évaluation de l’action de la puissance publique en Seine-Saint-Denis dresse le bilan sévère d’une « République en échec » et d’une action de l’Etat « inégalitaire et inadaptée ».

Tous les chiffres, en effet, font du « 9-3 » un territoire hors normes républicaines. Ils sont d’autant plus alarmants qu’ils se cumulent : un taux de chômage de 12,7 %, de 3 points supérieur à la moyenne nationale, de 4 points à la moyenne de l’Ile-de-France ; un revenu médian mensuel d’à peine 1 300 euros, soit 300 euros de moins que la moyenne nationale et 500 de moins que la moyenne de la région ; un taux de pauvreté de 28 % (le double de la France métropolitaine) ; des familles monoparentales pauvres plus nombreuses qu’ailleurs.

A quoi s’ajoute, en dépit de dispositifs d’éducation prioritaire massifs, un taux de décrochage scolaire très supérieur à la moyenne et un taux d’absentéisme des enseignants qui ne permet pas d’assurer pleinement la continuité de l’enseignement. « A mission égale », écrivent les deux députés, les sous-effectifs de fonctionnaires sont « injustifiables ». C’est vrai des policiers comme des enseignants, des magistrats comme des médecins scolaires.

« Les correctifs mis en place se sont étiolés »

Les pouvoirs publics, pourtant, ne sont pas restés inactifs, en Seine-Saint-Denis comme dans les quelque 200 banlieues déshéritées du pays. D’indéniables efforts ont été consacrés, depuis des années, à la rénovation de l’habitat, à l’amélioration des transports en commun (même si elle reste trop lente), à la mise en œuvre de multiples politiques sociales visant à compenser ces handicaps.

Mais, comme le notait récemment Jean-Louis Borloo dans le rapport sur les banlieues remis le 2 mai au premier ministre, « les correctifs mis en place il y a plus de dix ans se sont étiolés et estompés ». Le président de la République se veut le chantre de « l’égalité réelle ». La Seine-Saint-Denis devrait lui fournir le meilleur terrain pour démontrer que l’on peut passer de la parole aux actes.

Portrait de la Seine-Saint-Denis, vue depuis la nationale 2