Porter le combat contre l’érosion de la diversité du vivant au même niveau que la lutte contre le dérèglement climatique. C’est l’objectif de la « mobilisation de la France en faveur de la préservation de la biodiversité » à laquelle a appelé Nicolas Hulot, vendredi 18 mai à Marseille.

L’homme est devenu « une arme de destruction massive » contre la nature, a-t-il plaidé : « Je veux aujourd’hui sonner le tocsin et lancer ce cri de mobilisation générale. Chacun doit prendre sa part de responsabilité. On ne doit pas prendre ça comme une tâche insupportable : ce qu’on donne à la nature, elle vous le rend mille fois. » Et d’ajouter que pour l’humanité, « l’heure de vérité » est arrivée.

Après une matinée sur le terrain, consacrée à une visite en bateau du parc national des Calanques, suivie d’une rencontre avec les responsables du conservatoire du littoral, le ministre de la transition écologique et solidaire a annoncé que le point d’orgue de cette mobilisation serait la tenue à Marseille, en juin 2020, du septième congrès mondial de la nature, organisé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Deuxième piller de sa politique

M. Hulot n’a en revanche qu’esquissé les contours, sans en préciser le contenu, du « plan biodiversité » annoncé depuis plusieurs mois et attendu avec impatience par les associations environnementales. Celui-ci devrait être finalisé en juillet, après un comité interministériel prévu le 28 juin. Il sera précédé d’une consultation du public, menée du 18 mai au 7 juin via un site internet, autour de cinq thèmes : « Qualité de vie et santé, produire et consommer, nature et territoires, engager la société, action internationale. »

Le plan biodiversité lui-même, indique simplement le ministère, sera articulé autour de cinq axes :

« Protéger la biodiversité pour améliorer notre cadre de vie et nous adapter au changement climatique ; faire de la biodiversité le moteur du changement de nos sociétés de production et de consommation pour réduire notre empreinte écologique en France et dans le monde ; protéger et restaurer la nature dans toutes ses composantes ; créer un cadre européen et international ambitieux pour la protection de la biodiversité ; rendre la connaissance et l’action pour la biodiversité accessible à tous. »

Si ces têtes de chapitre ont le mérite de couvrir largement les enjeux de la préservation de la biodiversité, elles ne permettent guère, à ce stade, d’évaluer l’ambition du futur plan. M. Hulot assure pourtant vouloir en faire « le deuxième pilier de sa politique », avec le « plan climat » annoncé en juillet 2017, qui vise à atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle.

Les alertes se multiplient

Semaine après semaine, les scientifiques lancent l’alerte : chute de près de 80 % des populations d’insectes en Europe au cours des trois dernières décennies, déclin vertigineux des oiseaux dans les campagnes françaises… Jeudi encore, une nouvelle étude a montré comment le réchauffement climatique mettait en péril la faune et la flore sauvages. En novembre 2017, dans Le Monde, 15 000 scientifiques avaient lancé un appel à sauver la planète, prévenant qu’« il sera bientôt trop tard ».

La France est concernée au premier chef. Elle recèle, grâce à ses territoires ultramarins, une biodiversité exceptionnelle. Selon le bilan 2017 de l’Observatoire national de la biodiversité (ONB), elle abrite en particulier 16 733 espèces endémiques - que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde - dont 80 % dans les outre-mer.

Mais elle est aussi l’un des pays qui héberge le plus grand nombre d’espèces animales et végétales en danger au niveau mondial. Le tableau brossé par l’ONB est particulièrement préoccupant : régression de 23 % des populations d’oiseaux communs (les plus sensibles aux dégradations des écosystèmes) entre 1989 et 2015 ; effondrement de 46 % des populations de chauve-souris entre 2006 et 2014 ; menaces sur la survie de 31 % des espèces suivies dans les « listes rouges » de l’UICN et du Muséum national d’histoire naturelle.

Les écosystèmes sont eux-mêmes sous pression : 52 % seulement des milieux humides et 43 % des eaux de surface sont en « bon état de conservation », tandis qu’à peine 22 % des milieux naturels d’intérêt européen sont dans un état satisfaisant. En revanche, 64 % des récifs coralliens sont en état stable ou en amélioration. Les raisons en sont bien identifiées, souligne l’ONB : « Destruction, dégradation ou banalisation des milieux naturels, espèces exotiques envahissantes, pollutions, pression démographique, changement climatique ».

Beaucoup d’incertitudes

Reste à savoir, au-delà du « top départ de la mobilisation » - pour reprendre son expression - donné à Marseille par Nicolas Hulot, quel sera la teneur concrète du plan qui sera arrêté cet été. Quelles seront les mesures permettant d’aller plus loin que la loi d’août 2016 pour « la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », portée par l’ex-ministre de l’écologie, Ségolène Royal, et sa secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili ? Quels moyens y seront-ils affectés ? Quels relais politiques M. Hulot trouvera-t-il au sein d’un exécutif plus soucieux d’économie que d’écologie ?

L’engagement personnel en faveur de la biodiversité de l’ancien animateur d’« Ushuaia » et du créateur de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) ne fait aucun doute. Il a, sur ce sujet, gardé une sensibilité exacerbée. En mars, à l’Assemblée nationale, il avait recueilli une standing ovation des députés en exhortant à un « sursaut d’indignation » face à l’extinction du vivant. « Moi ça ne me provoque pas de la peine, pas de la colère, [mais] de la honte », avait-il lancé d’une voix blanche, ajoutant : « Oui je vais vous présenter un plan biodiversité dans les semaines qui viennent (…), mais très sincèrement, tout le monde s’en fiche, à part quelques-uns. »

Biodiversité : « J’ai besoin de votre indignation », lance Nicolas Hulot à l’Assemblée nationale
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Pour autant, depuis son entrée au gouvernement, voilà tout juste un an, le ministre de la transition écologique n’a guère agi dans ce domaine. Il s’est surtout illustré en autorisant, un mois après sa prise de fonction, l’abattage de deux loups supplémentaires, puis en arrêtant, en février 2018, un « plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage », visant à assurer une population de 500 canidés à la fin du quinquennat, contre 360 aujourd’hui. Un texte qui ne satisfait pas plus les éleveurs que les écologistes. Il a aussi annoncé, fin mars, la réintroduction de deux ourses dans les Pyrénées, à l’automne, rouvrant là encore un dossier explosif.

Grands rendez-vous

Pour porter haut la bannière du vivant, M. Hulot mise sur la caisse de résonance de plusieurs rendez-vous internationaux qui seront accueillis en France. Le congrès mondial de la nature en 2020, donc, pour lequel la cité phocéenne était la seule ville candidate. Mais aussi, fin avril-début mai 2019, la septième session plénière de la Plate-Forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qualifiée de « GIEC de la biodiversité », en référence au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. S’y ajoutera, en 2019 aussi, la présidence française du G 7, que le ministre veut mettre à profit pour pousser le thème de la préservation du vivant.

Ces « grand-messes » pourraient être à la biodiversité ce que la COP21 de 2015, à Paris, a été au climat : l’occasion de mobiliser l’opinion publique et les gouvernements sur une cause aujourd’hui négligée, en même temps que d’afficher aux yeux du monde le volontarisme de la France. Ils permettront, veut croire le ministre, « un changement d’échelle ».

Encore devront-ils être suivis - et si possible précédés - de mesures concrètes pour enrayer la disparition en cours de la vie sauvage. On l’a vu sur le climat : le verbe haut de la France et de son président, Emmanuel Macron, ne s’est pour l’instant guère traduit par des effets tangibles. France Nature Environnement a déjà averti : « Le futur plan national en faveur de la biodiversité doit constituer le point de départ d’un nouvel engagement fort de l’ensemble de la société, et en premier lieu de l’Etat ».