Le 15 mai, le pape françois recevait les évêques du Chili au Vatican. / HO / AFP

C’est le pape François qui l’écrit noir sur blanc : depuis des années, l’Eglise catholique chilienne abrite « de nombreuses situations d’abus de pouvoir, d’autorité et d’abus sexuels ». Des évêques ou des supérieurs d’ordre religieux auraient confié la direction de séminaires ou de noviciats à « des prêtres soupçonnés d’homosexualité active ». Des religieux expulsés de leur ordre pour des « comportements immoraux » ont été accueillis dans d’autres diocèses avec des charges comportant « un contact quotidien et direct avec des mineurs ».

Des plaintes ont été hâtivement jugées « invraisemblables » alors qu’elles étaient « de graves indices d’un délit effectif ». D’autres ont même été classées sans la moindre enquête. Des pressions ont été exercées sur des enquêteurs et des « documents compromettants » ont été détruits.

Ce constat glaçant figure dans le texte de dix pages que le pontife argentin a remis mardi 15 mai aux 74 évêques chiliens venus à Rome à sa demande, et dont le contenu a été révélé jeudi par la télévision chilienne T13. Il s’appuie sur des faits rassemblés dans un rapport (non publié) de 2 300 pages rédigé par les deux enquêteurs que le pape a dépêchés auprès des victimes d’agressions sexuelles et d’abus de pouvoir commis au sein de l’Eglise chilienne. Pendant trois jours, de mardi à jeudi, le pape a rencontré à huis clos ces évêques pour quatre séances de prise de conscience de la réalité des faits.

Cas d’abus dans des écoles catholiques

Il apparaît aujourd’hui clairement que le problème dépasse de loin le seul cas, pourtant déjà gravissime, de Fernando Karadima, ce charismatique prêtre de Santiago qui a formé de nombreux prêtres et plusieurs évêques et a été condamné par l’Eglise elle-même pour des agressions sexuelles commises pendant des années, par lui et autour de lui. Ces dernières années, plusieurs cas d’abus dans des écoles catholiques sont apparus au grand jour. Dans ce texte, le pape qualifie de « nombreux » ces abus. Il décrit en réalité une véritable faillite collective de cette Eglise. « Nous sommes tous impliqués, moi le premier », affirme François.

Pendant plusieurs années, le pape a en effet refusé d’entendre certaines anciennes victimes de Fernando Karadima, qui accusaient notamment l’évêque Juan Barros, l’un de ses proches, d’avoir couvert les agissements de l’ecclésiastique. François avait même accusé de « calomnie » ceux qui lui demandaient de revenir sur la nomination de Mgr Barros dans le diocèse d’Osorno. Il a ensuite affirmé n’avoir pas été informé exactement par les victimes, alors même qu’une lettre de l’une d’entre elles lui a été remise dès 2015.

Dans le texte transmis à l’épiscopat chilien, le pontife rappelle que par le passé, l’Eglise chilienne a eu le « courage » de s’engager et de prendre des risques pour défendre ses ouailles. Il oppose cette attitude à celle de l’Eglise d’aujourd’hui, qui a entre-temps été « transformée en son centre » : « La douloureuse et honteuse constatation des abus sexuels sur mineurs, des abus de pouvoir et de conscience de la part de ministres de l’Eglise ainsi que la manière dont ces situations ont été abordées met en évidence ce changement de centre ecclésial. »

« Quelque chose, dans le corps ecclésial, est malade »

Il décrit une Eglise passée du service des autres à une institution gangrenée par des individus et des groupes qui ont prétendu « s’ériger comme unique interprète de la volonté de Dieu ». Cette « psychologie d’élite », affirme le pape François, a fini par constituer des « cercles fermés qui débouchent sur des spiritualités narcissiques et autoritaires » pour lesquelles « l’important, c’est de se sentir spécial, différent des autres ». « Quelque chose, dans le corps ecclésial, est malade », résume François, qui parle aussi de « perversion » ecclésiale.

« Promouvoir une culture anti-abus »

Pour sortir de cette dérive collective, il préconise d’ouvrir l’institution et de travailler avec « différentes instances de la société civile pour promouvoir une culture anti-abus ». Il insiste sur le fait qu’à ses yeux, de simples changements de personnes (c’est-à-dire d’évêques) ne suffiront pas à résoudre des problèmes aussi profondément ancrés et structurels. « Cela, il faut le faire, écrit le pape, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aller plus loin. Il serait irresponsable de notre part de ne pas creuser pour trouver les racines et les structures qui ont permis que ces événements se produisent et se perpétuent. »

Se contenter de changer des hommes, explique-t-il, donnerait l’illusion d’avoir réglé les problèmes alors que ceux-ci perdureraient. Pour que « plus jamais ils ne viennent à se répéter », conclut François, il faut considérer le problème comme « celui de tous et pas seulement comme celui de certains ».

Autrement dit, les évêques chiliens auraient une responsabilité collective dans ces dérives et aucun ne saurait s’en exonérer. Reste maintenant au pape à dévoiler les réformes « de court, de moyen et de long terme » promises aux victimes de ces nombreuses dérives.