La série « O Mecanismo », diffusée depuis le 23 mars, se retrouve au cœur d’une bataille violente, où les « gauchistes » et les « fascistes » s’affrontent par voie de presse. / KARIMA SHEHATA/NETFLIX

Depuis sa cellule de la prison de Curitiba, Luiz Inácio Lula da Silva n’a pas regardé un seul épisode mais a promis de traîner Netflix devant les tribunaux. L’ancien chef d’Etat brésilien, figure de la gauche qui purge une peine de douze ans pour corruption, déteste O Mecanismo, une série Netflix diffusée depuis le 23 mars. Mise en scène par José Padilha, Brésilien installé à Hollywood (réalisateur des deux volets de Troupe d’élite, du récent Otages à Entebbe et de la série Narcos), elle s’inspire des péripéties de l’enquête anticorruption Lava Jato (« lavage express »), qui depuis quatre ans dénoue un écheveau crapuleux fomenté par le gratin des affaires et de la politique brésilienne.

En préambule, les auteurs de la série précisent même qu’il s’agit d’« une œuvre de fiction librement inspirée de faits réels où les personnages, situations et autres éléments ont été adaptés pour un effet dramatique ». Lula n’est pas le seul à détester O Mecanismo. Kim Kataguiri, porte-parole junior de la droite dure (il a 22 ans) juge l’ensemble « caricatural » et fustige la thèse « rousseauiste » des auteurs. Il est à parier qu’Aécio Neves, opposant de centre droit au Parti des travailleurs de Lula, lui aussi soupçonné de « corruption passive » et d’« obstruction à la justice », a également peu goûté d’y être dépeint en dandy frivole et comploteur.

Un brin de machiste

Pleine de rebondissements, de suspense, de poursuites en voiture et de bons sentiments, la série, même si elle est mâtinée d’un brin de machisme, se regarde avec un plaisir enfantin lorsqu’on est étranger. Pour un Brésilien, qui assiste depuis des années au naufrage de son propre pays, la série prend un tout autre relief. Il y reconnaît les protagonistes de la tragi-comédie réelle.

Il ricane devant la proposition de la présidente Janete Ruscov (inspirée de Dilma Rousseff) de « stocker le vent » (affirmation de Rousseff dans un discours à l’ONU en septembre 2015), soupire en voyant l’agent de change véreux Roberto Ibrahim (alias Alberto Youssef, homme d’affaires impliqué dans le scandale de Petrobras) confesser à ses avocats : « Si je parle, la République va tomber. » Il s’étrangle ensuite devant les propos de João Higino (Lula) : « Il faut éponger cette hémorragie. » Une phrase réellement prononcée, mais par l’un des ennemis de Lula, en plein avancement de l’enquête au sein de Brasilia, prélude à l’impeachment (destitution) controversé de sa dauphine, Dilma Rousseff, en 2016. « La phrase est trop célèbre, et la changer de bouche brouille la narration pour provoquer un bruit qui, au final, ne veut rien dire », a écrit au début de la diffusion la journaliste et critique Cora Rónai dans le quotidien O Globo, soulignant toutefois que la série mérite d’être vue.

« L’“effet dramatique” que Padilha offre à un pays dans lequel il ne vit plus est la voie royale vers le fascisme. » Antônia Pellegrino, scénariste

O Mecanismo se retrouve au cœur d’une bataille violente, où les « gauchistes », prêts à boycotter Netflix, affrontent les « fascistes » par voie de presse. « L’“effet dramatique” que Padilha offre à un pays dans lequel il ne vit plus est la voie royale vers le fascisme », écrit ainsi le 1er avril la scénariste Antônia Pellegrino dans la Folha de S.Paulo. « Des clichés du vocabulaire d’entraide d’une gauche prise la main dans le sac », lui a répondu quatre jours plus tard, dans le même quotidien, l’écrivain et réalisateur de documentaires Miguel de Almeida.

Mais le vrai propos de Padilha, même s’il n’est pas toujours exprimé avec finesse, est de s’attaquer au nihilisme. « La corruption est un cancer », explique le héros, Marco Ruffo, policier bipolaire. Un cancer dont les métastases auraient contaminé tout le pays. A Brasilia comme en province, chez les cols blancs comme chez l’épicier du coin, la corruption est partout, remarque Ruffo. Une dénonciation du jeitinho, cette façon brésilienne d’arranger le quotidien en glissant un petit billet par-ci, par-là. Une réalité que tout spectateur brésilien connaît, et qu’O Mecanismo lui rappelle sans détours.