Chronique. Certains êtres réagissent aux épreuves dramatiques que la vie leur inflige en transcendant leur douleur dans une énergie qui les empêche de tomber à terre. C’est le cas de Tina, l’héroïne de La Fille qui n’existait pas, de Natalie C. Anderson. Le meurtre de sa mère, Anju, aurait pu l’anéantir, mais Tina transforme sa tristesse en une froide colère et patiente dans l’attente de sa vengeance. Car la jeune fille n’a aucun doute : le meurtrier n’est autre que l’ancien employeur de sa mère, le richissime Roland Greyhill, dont Anju était une domestique. Et Tina n’a désormais qu’un seul but : lui faire payer son acte.

L’action se passe dans une mégapole kényane fictive, au cœur de ces quartiers huppés où les riches se cachent dans des demeures-prisons aussi scrupuleusement gardées que des quartiers de haute sécurité. Auprès de leur mère, Tina et sa sœur ont goûté de loin, quelque temps, à cette vie de privilèges. Les fillettes étaient scolarisées et l’aînée avait parfois l’occasion de traverser la frontière sociale en jouant avec le fils de la maison. Puis, du jour au lendemain, le ciel s’est assombri et Tina s’est retrouvée dans la noirceur aiguë du réel.

Elle parvient à faire admettre sa cadette dans un internat, mais, pour elle-même, les bancs du collège ne seront plus qu’un souvenir, car c’est désormais à l’école de la rue qu’elle va se former. Durant cinq ans, elle apprend à survivre dans le cloaque de la ville basse, s’endurcissant aux côtés des membres d’un gang de criminels dont, par son assurance, elle force le respect. Elle devient pickpocket de haut vol et n’a pas son pareil pour s’introduire en toute discrétion au sein des demeures les plus infranchissables.

Trafics de pierres précieuses

Un jour se présente enfin la chance de sa vie : pénétrer chez les Greyhill. Le chef de son gang lui a confié pour mission de pirater l’ordinateur de l’ancien patron de sa mère. Car Roland Greyhill n’est pas seulement un meurtrier ; sous ses dehors irréprochables de haut cadre d’une société minière, il est aussi mêlé à d’odieux trafics de pierres précieuses – et le piratage de ses données permettra de divulguer ses crimes à la face du monde.

Voilà cinq ans que Tina attendait son heure. Va-t-elle enfin pouvoir répondre aux nombreuses questions laissées par la perte de sa mère ? Qui était vraiment Anju ? Que partageait-elle véritablement avec son patron ? Une relation amoureuse secrète ? Des informations compromettantes ? Pour remonter le fil de sa propre histoire, Tina va devoir prendre la route jusqu’au Congo voisin (RDC) et les villages secoués par les conflits où elle est née. Y retrouvera-t-elle son géniteur ?

L’Américaine Natalie C. Anderson, auteure de ce polar haletant, tient si bien les rênes de son récit que chaque secret révélé ouvre un nouveau mystère et nous fait progresser de découverte en découverte. Mais au-delà de l’intrigue, le livre permet une plongée captivante et réaliste dans la complexité politique et sociale de cette région des Grands Lacs où les intérêts politico-financiers se conjuguent et outrepassent trop souvent le bien commun. Aveuglée par la douleur, Tina trouve enfin les réponses à ses questionnements mais n’en retourne pas moins à la rue. Car tout ne se finit pas toujours très bien dans la vraie vie.

La Fille qui n’existait pas, de Natalie C. Anderson, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Julie Lafon, éd. Pocket Jeunesse, 416 pages.