Sélection officielle – Un certain regard

Accompagné d’une partie de son équipe, Adilkhan Yerzhanov n’a pas dissimulé sa joie lors de la présentation à Cannes de son film La Tendre Indifférence du monde (Laskovoe bezrazlichie mira). Silhouette menue, large sourire, le cinéaste kazakh n’a cependant pas omis d’évoquer les nombreuses difficultés qu’il a rencontrées pour défendre la singularité à toutes les étapes de la fabrication de son film et « la légitimité de tous les personnages à ne pas être des clichés ».

Un combat légitime et nécessaire qui lui a permis de réaliser un petit bijou d’une éclatante beauté. A l’image de la première apparition de son héroïne, Saltanat (Dinara Baktybayeva), vêtue d’une robe rouge, assise au milieu des blés sous une ombrelle orange. Pareille au coquelicot d’un tableau hyperréaliste, la jeune fille – dont la splendeur picturale n’échappe pas à Kuandyk, son ami d’enfance, qui s’évertue à en esquisser les traits sur des feuilles de papier – incruste d’emblée sa présence dans une longue éternité que rien ne pourra altérer.

Le réalisateur Adilkhan Yerzhanov au Salon des ambassadeurs dans le Palais des festivals à Cannes, le 18 mai 2018. | STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Dimension poétique

La ville pourtant s’en chargera, où Saltanat doit se rendre pour épouser un riche entrepreneur afin de sauver sa mère, criblée de dettes après le suicide de son mari. En amoureux discret, Kuandyk l’accompagne, veillant sur elle comme sur un trésor, prêt à donner sa vie pour préserver cette fleur dont il tire sa raison d’être. Car, sous ses airs de simplet dont l’affuble le regard des autres, Kuandyk – belle gueule de paysan au regard bouleversant – a l’envergure d’un artiste, conscient que la magnificence dépend de la capacité de chacun à pouvoir l’appréhender et l’imaginer. Une des scènes du film, où le jeune homme met en scène, avec deux chaises et trois bouts de ficelle, un voyage en avion censé les mener, lui et Sultanat, en Europe, est, dans ce sens, une merveille. Qui dit à la fois la dimension poétique du personnage et ce à quoi se soumettent en somme les cinéastes, et tous les créateurs.

L’actrice Dinara Baktybayeva au Salon des ambassadeurs dans le Palais des festivals à Cannes, le 18 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Ce rappel à l’art, le film ne cesse de l’évoquer et de le mettre en scène. Par son titre, d’abord, emprunté à une phrase de L’Etranger, d’Albert Camus. Par les tableaux que le cinéaste utilise, ensuite, tout au long de l’histoire, à la manière des cartons du cinéma muet. Et par l’évocation, enfin, des auteurs dont se nourrit Sultanat (Shakespeare, Stendhal), dont les œuvres filtrent à divers endroits. Que ce soit dans le couple formé par Sultanat et Kuandyk, sortes de Roméo et Juliette pris au piège d’un monde corrompu. Ou dans la symbolique d’une robe rouge qui, à la fin du film, a été remplacée, à l’identique, par une robe noire. Et peu importe que ces deux jeunes gens soient, au fond, embarqués dans une suite d’événements cruels qui les font s’évanouir. Ils seront parvenus à imprimer leur grâce sur la pellicule.

Film kazakh d’Adilkhan Yerzhanov. Avec Dinara Baktybayeva, Kuandyk Dussenbaev, Teoman Khos (1 h 40). Sortie en salle prochainement. Sur le Web : www.arizonafilms.fr/tim_bio.html et www.festival-cannes.com/fr/festival/films/laskovoe-bezrazlichie-mira