Sélection officielle – hors compétition, film de clôture

Pour peu que l’on aime Terry Gilliam – la magie enfantine de Bandits Bandits (1981), la dystopie frénétique de Brazil (1985), la mélancolie de Fisher King : le roi pêcheur (1991) –, on pénètre dans la salle où l’on projette L’Homme qui tua Don Quichotte (The Man Who Killed Don Quixote) avec l’appréhension du visiteur entrant dans la chambre d’hôpital où gît un ami qui vient de subir une opération de chirurgie esthétique. L’histoire de ce film est devenue l’une des grandes légendes du cinéma. Terry Gilliam a occupé sa fin de XXsiècle à essayer de monter une adaptation du Quichotte de Cervantès. Le moment où il a cru y parvenir, en 2000, est devenu un documentaire-catastrophe, Lost in La Mancha.

Lire l’entretien avec Terry Gilliam : « Je n’ai plus de montagne à gravir »

Depuis, les rôles initialement destinés à Johnny Depp et Jean Rochefort ont été proposés à Ewan McGregor, Owen Wilson, Robert Duvall ou John Hurt, le scénario a été révisé (par les mêmes auteurs, Tony Grisoni et Gilliam) un nombre incalculable de fois. Si l’on ajoute que la tonalité de la filmographie du réalisateur s’est assombrie et qu’il a parfois semblé perdre de sa légendaire assurance (Zero Theorem en 2013), on s’attend à découvrir un film fragile et contrefait.

Energie et plaisir

C’est tout le contraire : L’Homme qui tua Don Quichotte vibre d’une énergie, d’un plaisir de faire du cinéma communicatifs. Au fil des ans, le scénario a incorporé les péripéties qui ont entouré l’odyssée du film. Toby (Adam Driver) est un atroce réalisateur de publicités, capricieux, narcissique, qui tourne en ­Espagne un spot inspiré de l’attaque des moulins à vent. Il se rend bientôt compte qu’il n’est qu’à quelques kilomètres du village où il tourna son film de fin d’études, une variation sur le thème du Quichotte. Sa tentative pour retrouver cette innocence perdue le plonge dans un no man’s land entre mémoire et présent, entre scénario et quotidien, dont la figure centrale est le cordonnier auquel il confia naguère le rôle du Chevalier à la triste figure. Irradié par la fiction, l’artisan n’a jamais repris son alêne, restant coincé dans son rôle.

Jonathan Pryce et Terry Gilliam sur le tournage de « L’Homme qui tua Don Quichotte ». / DIEGO LOPEZ CALVIN/OCÉAN FILMS

L’invention inépuisable de Gilliam est structurée par ce souci de ­mêler réalité et fantaisie jusqu’à ce qu’elles soient méconnaissables

Le judas qui a trahi ses idéaux et le fou qui a oublié la réalité se lancent dans une chevauchée absurde à travers une contrée qui ressemble au monde d’aujour­d’hui, d’un campement d’immigrés clandestins au château d’un oligarque, tout en prenant l’apparence des décors fantasmagoriques qui meublaient les imaginations jumelles de Don Quichotte et de Miguel de Cervantes.

L’invention inépuisable de Gilliam est structurée (la plupart du temps, les longues séquences finales donnent l’impression que l’auteur de Jabberwocky (1977) ne voulait pas que son film et son tournage s’arrêtent) par ce souci de ­mêler réalité et fantaisie jusqu’à ce qu’elles soient méconnaissables et vraies, sans trop recourir aux effets spéciaux. Pour donner chair à cette idée, le réa­lisateur a pu compter sur le formidable numéro qui oppose son Panza d’outre-Atlantique, moderne, arrogant, séduisant et vulnérable, à son Quichotte britannique, qui porte fièrement la tradition du paroxysme théâtral. Quand ces deux-là cessent d’enchanter ou de faire rire, on entend la complainte de Terry Gilliam qui compte les années qu’il a ­sacrifiées à son obsession.

L'HOMME QUI TUA DON QUICHOTTE - TEASER VOSTFR
Durée : 01:25

Film britannique, espagnol et portugais de Terry Gilliam. Avec Adam Driver, Jonathan Pryce, Olga Kurylenko (2 h 12). Sortie en salle le 19 mai. Sur le Web : www.ocean-films.com/film/lhomme-qui-tua-don-quichotte et quixotemovie.com