Ahmed dans son studio du centre-ville de Vichy, le 21 décembre 2017. / SANDRA MEHL POUR "LE MONDE"

Lorsque nous avions rencontré Ahmed pour la première fois en juillet 2017 à bord d’un train express régional qui l’emmenait de Vichy à Clermont-Ferrand, il s’apprêtait à signer son contrat d’intégration républicaine. Dans les bureaux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), Véronique Maupoint, directrice territoriale, était venue le saluer. L’auditrice de l’OFII lui avait promis 200 heures de français et deux jours de formation sur « les codes de la société française ainsi que les grandes dates qui ont fait l’histoire de France ». Aujourd’hui, Ahmed, 27 ans, parle français couramment et la devise républicaine est devenue son mantra.

Depuis cette date et l’obtention du statut de réfugié qui lui donne droit à un titre de séjour de dix ans, Ahmed peut enfin se projeter dans l’avenir. Après avoir déménagé du centre d’accueil de ­demandeurs d’asile de Vichy pour s’installer dans un studio du ­centre-ville historique de la sous-préfecture de l’Allier, il souhaite à présent trouver un emploi. Il vient d’ailleurs d’effectuer une formation initiale minimale obligatoire (FIMO), sésame obligatoire pour conduire des poids lourds en France. Ce jeune homme, qui a eu la chance de pouvoir se marier avant son départ contrairement à beaucoup de ses compatriotes en exil, rêve aussi de faire venir prochainement son épouse.

La première nuit dans la capitale française, Ahmed la passe sur un trottoir : « Quand j’ai posé ma tête sur le sol, je me suis dit, tout ça pour ça ! C’était très dur… »

Cette stabilité qu’il commence à savourer l’autorise désormais à regarder derrière lui. « Ça fait presque quatre ans que je suis parti de chez moi », glisse-t-il, l’air songeur, comme s’il se revoyait ce jour fatidique de novembre 2014 où sa vie a basculé. « J’étais conducteur pour une ONG suisse au Soudan et j’ai subi des pressions du service national de sécurité. Je risquais ma vie alors j’ai dû me cacher et faire le choix de partir », raconte Ahmed.

Sans pouvoir rien dire à sa jeune épouse, il quitte de nuit le camp de réfugiés près de Nyala, sa ville natale, en direction de la Libye. Après une traversée du désert de huit jours, et plusieurs étapes dans des villes libyennes, il s’installe à Tripoli où il travaille pendant un an chez un carrossier soudanais. « C’est grâce à cet homme que j’ai appris à chanter, il jouait de la guitare tous les vendredis et je ­l’accompagnais », se souvient celui qui est aujourd’hui chanteur des Soudan Célestins Music, le groupe de musiciens réfugiés soudanais qui s’est constitué à Vichy en 2016. « Mais la vie en Libye était très dangereuse, il y avait beaucoup d’armes, beaucoup de violences, alors un jour je me suis dit qu’il valait mieux que je meure dans la mer plutôt que de mourir bêtement en Libye », dit-il pour justifier son choix de l’Europe.

Déambuler le long de l’Allier

Après avoir franchi les eaux meurtrières de la Méditerranée et débarqué en Sicile, Ahmed prend la direction de la France sans écarter la possibilité de tenter sa chance en Angleterre. « Quand je suis arrivé en France, beaucoup de migrants m’ont déconseillé d’aller à Calais, car les conditions y étaient inhumaines, alors je suis resté à Paris », explique-t-il.

La première nuit dans la capitale française, Ahmed la passe sur un trottoir : « Quand j’ai posé ma tête sur le sol, je me suis dit, tout ça pour ça ! C’était très dur… » Il se rend ensuite dans un squat du 19e arrondissement, l’ancien lycée Jean-Quarré, où il restera quelques semaines jusqu’à son évacuation dans un centre d’accueil et d’orientation à Varennes-sur-Allier, dernière étape avant de s’installer à Vichy début 2016.

Quand il se rend à Clermont-Ferrand, ­Ahmed ose désormais regarder par-delà la chaîne des Puys. Ce Puy-de-Dôme, c’est le point culminant de son nouveau décor auvergnat. Rien à voir avec le djebel Marra, le volcan du Darfour à deux pas de Nyala, mais Ahmed s’y sent bien. A Vichy, il aime déambuler le long de l’Allier et profite des installations sportives le long du fleuve pour s’entretenir physiquement. Pour lutter contre la ­solitude, il voit régulièrement ses compatriotes derrière la mairie, sur les marches du ­centre d’accueil des demandeurs d’asile, mais il côtoie aussi des Français grâce au ­réseau ­associatif de la ville.

Sa priorité est aujourd’hui de trouver un emploi. Un rêve qu’il touche presque du doigt. Une société spécialisée dans le transport de semences vient de lui accorder un ­entretien. Ahmed aimerait aussi voyager, ­expérimenter ce concept de « vacances », qu’il a découvert ici. Alors son premier voyage sera l’Espagne. Madrid plus précisément, car la ville abrite son club de football de cœur, le Real de Madrid.