Réélu pour sept ans, le président vénézuélien Nicolas Maduro salue ses supporteurs après sa victoire aux élections à Caracas, le 20 mai. / JUAN BARRETO / AFP

Il existe des pays où, en dépit de l’organisation d’une « élection », le bulletin de vote n’a guère de sens. Le Venezuela est de ceux-là. Cela ne veut pas dire que le pouvoir qui organise le scrutin n’a pas de partisans – le mouvement chaviste vénézuélien est en l’occurrence loin d’être mort – mais cela signifie que l’électeur ne se fait aucune sorte d’illusion sur son pouvoir de citoyen.

Le président sortant Nicolas Maduro, successeur en 2013 du « Commandant suprême de la révolution bolivarienne » Hugo Chavez, a été proclamé vainqueur de l’élection présidentielle du dimanche 20 mai avec 67,7 % des voix. Il a été réélu pour sept ans.

Son principal adversaire, l’ancien gouverneur Henri Falcon, n’a pas attendu la proclamation des résultats pour annoncer qu’il « ne reconnaît pas ce processus électoral ». Il a appelé à « de nouvelles élections en décembre », la date traditionnelle de la présidentielle au Venezuela – le pouvoir avait cette année convoqué une élection anticipée. Un troisième candidat, le pasteur évangélique Javier Bertucci, s’est joint à la demande d’un nouveau scrutin.

Seize millions de Vénézuéliens étaient appelés aux urnes. Le pouvoir ayant interdit aux deux principaux opposants au chavisme et à la principale coalition d’opposition de participer au scrutin, ceux-ci ont décidé de boycotter la présidentielle et ont appelé les électeurs à l’abstention. Les candidatures de MM. Falcon et Bertucci avaient donc été bien perçues par le gouvernement, qui souhaitait donner une apparence démocratique au scrutin alors que Nicolas Maduro est de plus en plus qualifié de « dictateur », tant au Venezuela qu’à l’étranger.

Condamnation internationale

C’est ainsi que quatre camps se sont en fait affrontés : Maduro et le chavisme ; les deux candidats acceptés par le pouvoir ; l’opposition du boycott ; et le camp de la simple abstention, celui des Vénézuéliens ne suivant les consignes ni du pouvoir ni de l’opposition. Selon les chiffres officiels, l’abstention a atteint 53,9 %.

A l’école Padre-Mendoza, dans le quartier ouvrier d’El Valle qui a vu naître Nicolas Maduro, les chavistes étaient mobilisés dès l’aube. Les cadres du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) au pouvoir étaient entourés de l’armée, de la police, de la milice bolivarienne et de volontaires chavistes. Une heure après l’ouverture des portes sont arrivés les observateurs internationaux conviés par le pouvoir.

Donald Trump a déjà annoncé que les Etats-Unis ne reconnaîtront pas le résultat de la présidentielle, l’Organisation des Etats d’Amérique (OEA) et l’Union européenne (UE) pourraient faire de même, et les conditions du scrutin vénézuélien font de toute façon l’objet d’une condamnation internationale presque unanime, mais 200 invités de Caracas effectuent une tournée de « contrôle » des opérations électorales. Leur rôle n’est pas de commenter l’interdiction de l’opposition ni la campagne électorale, mais simplement de vérifier que les opérations de vote se déroulent normalement.

Crise économique

Or c’est en apparence le cas. Les électeurs qui se sont déplacés votent tranquillement, les machines électroniques fonctionnent. Le problème est que le bulletin de vote n’a guère de sens. Sans contester que certains Vénézuéliens aient voté en accord avec leurs convictions, ce qui compte vraiment, en ces temps de crise économique et humanitaire, davantage qu’un bulletin de vote, s’appelle le « carnet de la patrie », et c’est un coup de maître.

Les électeurs se présentants leur « carnet de la patrie » sous des tentes baptisées « Points rouges », pour toucher un bon donnant droit à une aide, à Caracas, le 20 mai. / FABIOLA FERRERO / VII MENTOR POUR LE MONDE

Le système Maduro a créé un « mouvement » de 16 millions de membres, Somos Venezuela (Nous sommes le Venezuela), mêlant adhésion politique et aides sociales. C’est une carte avec un code QR qui recèle toutes les données sociales d’un Vénézuélien, et détermine ce qu’il va percevoir comme aides, nourriture, soins… jusqu’à sa pension de retraité. Puis, comme le raconte candidement le responsable maduriste d’un centre social, dès l’attribution d’un carnet de la patrie par le gouvernement, « Somos Venezuela prend le relais, va de maison en maison, et gère l’aide du président à son peuple ».

Au-delà du contrôle de la société, le problème politique immédiat est que les électeurs étaient invités, en allant voter, à présenter leur carnet de la patrie sous des tentes baptisées « points rouges », pour toucher un bon donnant droit à une aide. Tibisay Lucena, la présidente de la commission nationale électorale, une chaviste liée au pouvoir, avait assuré que les tentes seraient installées à plus de deux cents mètres des bureaux de vote, et avait affirmé que M. Maduro lui avait promis que les cartes ne seraient pas scannées.

« Message de paix »

Non seulement ces deux précisions ne changent rien au problème, mais elles n’ont pas été respectées. A côté de l’école Padre-Mendoza, la tente est installée à trente mètres de la porte et des volontaires y guident les gens.

Ironie ou volonté de montrer qui tient les rênes du pouvoir, dans l’école Miguel-Antonio-Caro du quartier de Catia, où le président Maduro a voté, le point rouge était installé dans le bureau de vote lui-même et tous les carnets de la patrie étaient consciencieusement scannés. Les observateurs internationaux rencontrés affirment n’avoir vu aucun point rouge, mettant ces accusations sur le compte de l’opposition et des médias, « de toute façon hostiles au gouvernement et à cette élection présidentielle ».

De toute façon, rien ne semble perturber les chavistes. Deux très proches de M. Maduro, la présidente de l’Assemblée nationale constituante Delcy Rodriguez, puis le ministre de la communication et chef de campagne du président Jorge Rodriguez, viennent voter sous les applaudissements des volontaires. Ils semblent sereins.

Delcy Rodriguez appelle à « voter pour un processus profond de rénovation et de reconstruction économique ». Jorge Rodriguez insiste pour sa part, alors qu’une nouvelle vague de sanctions internationales pourrait s’abattre sur le pays en faillite, sur « le message de paix et de démocratie envoyé au monde entier ».

Peu après la fermeture des bureaux de vote, Henri Falcon est le premier politique à prendre la parole à la télévision. Son principal argument pour refuser de reconnaître la validité du scrutin est la présence, selon lui, de 12 700 points rouges de Somos Venezuela à travers le pays. « Partout on donnait un bon d’une valeur de 10 millions de bolivars [environ 8 euros au cours du marché noir] à chaque électeur. C’est une félonie électorale ! C’est jouer avec la faim et la misère des pauvres. De plus, c’est géré à partir d’une plate-forme gouvernementale. C’est une double félonie ! »

« Une élection impeccable »

Nicolas Maduro, apparaissant en fin de soirée sur une estrade, devant une foule festive, en son palais de Miraflores, a sèchement rejeté tous les arguments de ses opposants, et même assumé sa stratégie. « Sur vingt-quatre élections, c’est notre vingt-deuxième victoire en dix-neuf ans, depuis l’arrivée de Chavez au pouvoir, affirme le président. « C’est le mouvement d’un peuple révolutionnaire. C’est une grande victoire. Et je veux remercier les forces armées et tous les volontaires des bureaux de vote et des points rouges. Ne critiquez pas les gens humbles qui accompagnent notre mouvement. Ce fut une élection impeccable. »

Comme il s’y était engagé durant la campagne électorale, et peut-être aussi à cause de la forte abstention, Nicolas Maduro convie ses opposants à participer à ses côtés à « un grand dialogue national ». Autant dire qu’alors que certains dorment en prison, que d’autres vivent en résidence surveillée, et que beaucoup sont réfugiés à l’étranger, cela a peu de chance de se produire.

De même que les Vénézuéliens ne croient plus guère au bulletin de vote, ils ne croient de toute façon plus à aucune promesse du pouvoir. Ils luttent pour survivre ou ils fuient le pays, que ce soit pour échapper à la dictature, aux violences, ou à la tragédie humanitaire. La révolution bolivarienne continue, mais avec de moins en moins de révolutionnaires.