Donald Trump, le 22 mars à la Maison Blanche. / MANDEL NGAN / AFP

On se souvient du tweet de Donald Trump en mars, lorsqu’il lança son offensive commerciale tous azimuts : « Quand un pays, les Etats-Unis, perd des milliards de dollars avec chacun de partenaires, les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner ». A l’issue de deux jours de négociation à Washington avec les Chinois, le Washington Post a rendu son verdict dimanche 20 mai : « la Chine est en train de gagner la guerre commerciale de Trump ». Entre Donald Trump, qui n’a pas écrit son propre livre « l’art du deal », et les Chinois qui pratiquent L’Art de la guerre depuis Sun Zu, l’avantage va clairement aux seconds.

D’abord, un armistice a été conclu samedi alors que ce sont les Américains qui avaient ouvert les hostilités. « Nous suspendons la guerre commerciale », a confirmé Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor américain. Les Chinois avaient préalablement accompli des gestes de bonne volonté, suspendant la taxation du sorgho qui avait été décidée en représailles de l’imposition de l’acier et de l’aluminium chinois. Ils rentrent chez eux avec la promesse provisoire que les 50 milliards de dollars de droits de douane annoncés pour avoir organisé des transferts de technologie forcés sont pour l’instant suspendus.

Les chiffres ne collent plus

De son côté, l’administration Trump crie victoire, les Chinois s’étant engagés à acheter plus de produits américains. « Ils proposent de réaliser des réformes structurelles, comme des droits de douanes plus bas et la suppression de barrières non tarifaires, qui nous permettront d’exporter des milliards et des milliards de biens supplémentaires en Chine », a assuré Larry Kudlow, l’ancien commentateur de télévision devenu conseiller économique de la Maison Blanche

« Des milliards et des milliards », certes, mais lorsqu’on commence à faire les additions, les chiffres ne collent plus. En 2017, les Chinois ont exporté pour 505 milliards de dollars (près de 470 milliards d’euros) de biens vers les Etats-Unis, importé pour 130 milliards de dollars, ce qui a conduit à un déficit de 375 milliards de dollars. Donald Trump exige que ce déficit soit réduit de 200 milliards de dollars. Ce chiffre a été évoqué dans les discussions, mais la délégation conduite par Liu He, principal conseiller économique du président Xi Jinping, a refusé de s’engager sur un tel montant. Tout simplement parce que c’est impossible à réaliser lorsqu’on analyse de près les exportations américaines vers Pékin, comme l’on fait Chad Bown, consultant du think tank Peterson Institute de Washington, ou le New York Times. Le communiqué commun sino-américain évoque une « augmentation significative d’exportations américaines dans le domaine agricole et de l’énergie ».

Réduire la consommation des Américains

En réalité, les Chinois n’achètent que 20 milliards de dollars de produits agricoles américains, dont 12 milliards de dollars de soja. La production américaine totale de soja est de 40 milliards de dollars et occupe autant de superficie que le maïs. On voit mal comment l’augmenter substantiellement, même si sur twitter Donald Trump s’est réjoui de ce que la Chine « a accepté d’acheter des montants massifs de produit agricoles supplémentaires ». En matière énergétique, à supposer que les Chinois veuillent prendre le risque d’une dépendance américaine, les chiffres ne sont pas à la hauteur des enjeux, les Chinois ne se fournissant qu’à hauteur de 10 milliards de dollars auprès des Américains.

Une troisième piste concerne les semi-conducteurs, dont la Chine est avide : elle en importe 200 milliards de dollars par an pour faire tourner l’atelier du monde qu’elle est devenue, mais seulement 6 milliards en provenance des Etats-Unis (qui en exportent au total 50 milliards de dollars). De nouveau, les Chinois peuvent augmenter leurs approvisionnements américains, mais les montants ne sont pas au rendez-vous et stratégiquement risquées.

Pis, techniquement, les entreprises américaines n’ont pas les capacités de production pour satisfaire une explosion soudaine de la demande chinoise. C’est par exemple le cas de Boeing qui ne peut pas changer radicalement son plan de charge. Pour vendre plus aux Chinois, les entreprises américaines devraient renoncer à fournir leurs autres clients, ce qui ne ferait que déplacer le problème du déficit commercial américain.

D’autres inconnues subsistent

L’autre solution pour réduire ce déficit bilatéral serait que les ménages américains réduisent leur consommation et donc les importations chinoises. Il s’agit du cœur du problème : les Etats-Unis vivent à crédit en prêtant des dollars au reste de la planète, avide de la monnaie de réserve mondiale. Nul n’aborde ce sujet dans le débat américain. Nul ne rappelle non plus que la Chine n’a pas de problème de déséquilibre global, son excédent commercial ayant été réduit, à la différence de l’Allemagne, à 2 % du produit intérieur brut.

Dans ce contexte, les Chinois sauvent la face de Trump, mais ne résolvent guère son problème. La presse américaine note que rien de précis n’a été annoncé sur les transferts forcés de technologie ou sur les subventions chinoises à leur industrie, qui étaient le grief principal de l’administration Trump, qui estime que l’Amérique se voit voler chaque année de 225 à 600 milliards de dollars par an.

Rien n’est clair non plus sur les restrictions aux investissements censées être annoncées par Steven Mnuchin. Le Washington Post croit savoir que cette partie des sanctions est elle aussi suspendue. Dans cette affaire, des foucades sont possibles. Ces derniers jours, c’est visiblement le secrétaire au Trésor, partisan du libre-échange, qui a eu la main sur les négociations. Mais les tensions restent fortes – la presse a révélé que M. Mnuchin s’était querellé fortement lors d’un premier voyage de négociation à Pékin début mai avec le conseiller Peter Navarro, très proche de Donald Trump et violemment anti-chinois. L’expérience a montré que les retournements de rapport de force au sein de l’équipe Trump étaient fréquents.

L’Alena, autre dossier embourbé

D’autres inconnues subsistent, notamment sur le sort l’entreprise de téléphonie chinoise ZTE, incapable de poursuivre ses activités depuis qu’elle est privée de composants américains pour avoir détourné les embargos américains envers l’Iran et la Corée du Nord. Donald Trump a ordonné de la remettre « dans le business », mais le dossier est embourbé, d’autant qu’une commission de la chambre des représentants a refusé jeudi de lever ces sanctions.

L’autre dossier embourbé est la négociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), qui pourrait ne pas être conclu avant la présidentielle mexicaine qui doit se tenir le 1er juillet et aussi les élections de mi-mandat américaines le 6 novembre. Les discussions ont été prolongées de deux semaines, mais le Wall Street Journal a tiré à boulets rouges sur « la débâcle qui s’annonce ». Le quotidien des affaires fustige le négociateur américain Robert Lighthizer, estimant qu’il aurait pu sécuriser un bon accord donnant accès au marché mexicain de l’énergie, des télécoms et faciliter les exportations agricoles. A force d’être intransigeante et de braquer ses deux voisins, la Maison-Blanche risque de se retrouver au Mexique avec un président populiste, Andrès Manuel Lopez Obrador, et miroir inversé de Donald Trump, et à Washington avec une chambre des représentants démocrates refusant de ratifier l’Alena renouvelé.