Au moment où Maurice fête les 50 ans de son indépendance, une page économique semble définitivement tournée : la place longtemps tenue par l’exportation de sucre dans l’économie de l’île. Certes, les plaines et plateaux restent dominés (90 % des surfaces cultivées) par les champs de canne qui, depuis plus de trois siècles, ont marqué l’histoire humaine et économique de Maurice. Mais en 2018, des mutations profondes de la filière sont arrivées à maturité : en moins de deux décennies, la traditionnelle exploitation sucrière a cédé la place à une industrie cannière diversifiée.

Dans le nord-ouest de l’île, l’Aventure du sucre expose les principaux axes de cette mutation. Voilà quinze ans, cette ancienne sucrerie de la commune de Pamplemousses a été transformée en musée interactif dédié à l’histoire de l’or blanc mauricien. De l’introduction de la canne à sucre de Java par les Hollandais, au XVIIe siècle, à l’économie esclavagiste développée par les Français au XVIIIe siècle, suivie de l’« engagisme » des travailleurs indiens, un système proche du servage expérimenté par les Britanniques dès 1835, les grandes étapes de la monoculture sucrière mauricienne sont méthodiquement retracées.

Jusqu’aux évolutions les plus récentes : fluctuations brutales et effondrement des cours du sucre, dans les années 1990 et 2000 ; démantèlement progressif, depuis 2009, du « Protocole sucre » signé en 1975 entre l’Union européenne et 19 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et qui accordait à Maurice à un accès préférentiel au marché européen via des quantités et des prix garantis ; et, enfin, annonce officielle, en 2017, de la fin des quotas sucriers européens, livrant désormais aux seules lois du marché le cours hasardeux de l’or blanc.

Quatre centrales thermiques

« Avant même ces deux dernières étapes, les grandes familles mauriciennes du sucre et les autorités du pays avaient déjà amorcé la transformation de la filière, explique Arvind Nilmadhub, directeur du cabinet de conseil Afribrains. La baisse de la rentabilité a conduit à une concentration et une diversification qui ont finalement donné naissance à l’industrie cannière moderne. »

La première raffinerie de sucre est inaugurée en 2009, alors que le nombre de sucreries ne cesse de chuter : 19 au début des années 1990, 11 en 2003 et seulement 4 aujourd’hui, contre 124 sites en 1891. Ce changement s’est accompagné de programmes sociaux pilotés par l’Etat pour favoriser l’accès à la propriété des petits cultivateurs sur des lopins de terre cédés par les grandes familles sucrières.

Mais la plus forte mutation de la filière provient de la place conquise par la production d’électricité à partir de bagasse, un résidu fibreux issu de la première étape de broyage des cannes. « Selon les variétés, une tonne de canne fournit entre 250 et 350 kg de bagasse, pour une valeur énergétique de 420 kWh par tonne », explique un ancien ingénieur de la filière.

Grâce aux quatre centrales thermiques à présent installées à proximité des sucreries (et alimentées au charbon hors saison de la canne), la capacité de production d’électricité de l’île a fortement progressé. Selon le dernier rapport annuel du Central Electricity Board, les énergies renouvelables contribuaient en 2015 à 22 % de l’électricité produite, plus des deux tiers provenant de la combustion de bagasse.

Renaissance des distilleries

Autre diversification : la production de bioéthanol. « En 2016, l’Etat a amendé un texte de loi afin de rendre obligatoire le mélange de bioéthanol à l’essence destinée aux carburants automobiles », explique Arvind Nilmadhub.

Pour l’heure, seule la compagnie Omnicane (1 500 salariés), en association avec le groupe belge Alcogroup, s’est lancée dans cette nouvelle aventure industrielle, avec une production annuelle de plus de 20 millions de litres de bioéthanol. Situé dans le sud-est de l’île, ce projet répond au souhait du groupe de compenser ses contre-performances sur le seul marché du sucre, avec des pertes de 26,4 millions de roupies en 2016 (soit 670 000 euros à l’époque).

Enfin, la production de rhum, traditionnelle sur l’île, permet aussi au sucre de retomber sur ses cannes. « Nos distilleries sont anciennes, mais leur production est repartie, de façon artisanale ou industrielle, avec la chute des cours du sucre », souligne Eric Guimbeau, propriétaire du groupe Saint-Aubin. Sur son domaine dans le sud de Maurice, où la production de rhum bat son plein depuis l’acquisition, notamment, d’un alambic de marque Hradecky Pacova en 2001, la canne est toujours cultivée mais le broyage n’est plus manuel : l’énergie entraînant l’énorme moulin est produite par… une chaudière à bagasse.

Sommaire de notre série « L’île Maurice en quête d’un second miracle »

Canne à sucre, tourisme de luxe, « économie bleue »... Le pays cherche à diversifier ses ressources.