L’ordinateur Jerry. / DR

Servant tout à la fois d’ateliers de production, de création et de prototypage, de lieux de formation par la pratique et de facilitateurs de lien social, les fab lab contribuent à réduire l’opposition frontale traditionnelle entre savoir et faire.

La vague des fab lab a pris naissance aux Etats-Unis, en 1998, sous l’impulsion de Neil Gerhenfeld, professeur de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT). Il s’agit d’ateliers conçus pour être ouverts, partagés et collaboratifs. Leur objectif est de proposer un espace physique, rassemblant des outils numériques (découpes laser, imprimantes 3D, etc.) dont l’usage est commun, afin de permettre à un individu de créer, d’inventer. Ils permettent ainsi de concevoir, de prototyper, de fabriquer et de tester des objets les plus divers. Ces ateliers prennent un sens particulier en Afrique où ils deviennent des relais pour le développement de communs à visée éducationnelle.

Une grande diversité

Si les pays d’Afrique subsaharienne ont réalisé de considérables progrès dans le développement de leurs systèmes éducatifs, le retard initial et la très forte croissance démographique font que la région compte encore 50 millions d’enfants non scolarisés en âge d’être au primaire ou au secondaire. A ces difficultés d’accès s’ajoutent les très forts défis de l’équité et de la qualité des enseignements dispensés aux élèves.

Les fab lab d’Afrique subsaharienne connaissent une grande diversité, mais ils se donnent des objectifs éducationnels plus clairement et plus systématiquement que leurs homologues des pays développés.

Nombre d’entre eux proposent ainsi des ateliers non seulement aux enfants et adolescents, mais aussi aux étudiants, pour pallier le sous-équipement des universités, ou encore aux femmes, pour faciliter leur insertion sociale et professionnelle. Au-delà de l’aspect de formation des plus jeunes aux rudiments de l’électronique, voire de la fabrication numérique, le projet pédagogique vise ainsi à répondre à des enjeux sociétaux locaux.

Sésamé Koffi Agodjinou, fondateur du WoeLab au Togo, anthropologue et architecte de formation, voit dans le fab lab un moyen de repenser avec et pour les citoyens une ville qui est traditionnellement dessinée par les seuls urbanistes. En ligne avec l’architecture vernaculaire qui propose une vision de la ville comme un village, le fab lab propose un lieu et des moments qui créent de la cohésion, soit, symboliquement, un nouvel enclos d’initiation pour les jeunes.

Babylab, un fab lab en Côte d’Ivoire. / Guiako Obin

De son côté, Guiako Obin, créateur du Babylab en Côte d’Ivoire, a choisi une commune très populaire d’Abidjan, marquée par la pauvreté et l’insécurité, pour faire du fab lab un levier de transformation sociale par l’éducation et lutter contre le désœuvrement et la délinquance des jeunes.

Enfin, le Blolab au Bénin, créé par Médard Agbayazon, se donne pour objectif de favoriser l’alphabétisation numérique des jeunes et des professionnels locaux (artisans, agriculteurs) et de les aider à construire des solutions peu coûteuses, faciles d’accès et rapides pour leur développement. Ici l’ingéniosité des membres de la communauté fab lab, inspirée et soutenue par des ressources informationnelles globales, apportent des solutions adaptées à des besoins locaux. A titre d’exemple, le fab lab a permis le développement d’une application de dénonciation des cas de violences fondées sur le genre.

Un nouveau lieu d’innovation

Avec plus d’une quarantaine de lieux, on ne peut que confirmer la vitalité de ce mouvement sur le continent africain. Le fab lab constitue un nouveau lieu d’innovation qui, dans des conditions difficiles, fait bien souvent appel à la débrouillardise et s’appuie sur la créativité et la volonté forte de ses promoteurs.

Dans l’atelier, la production elle-même doit également faire face au défi de la faiblesse des ressources financières et matérielles disponibles. Les communautés de fab lab, s’inscrivant ainsi dans l’innovation frugale, s’attachent à répondre aux besoins locaux avec des solutions simples et adaptées. Elles font par ailleurs appel aux ressources en ligne, qu’il s’agisse de modes d’emploi, d’instructions de construction, de communautés de pratique ou encore de sites de financement participatif.

Le mouvement croissant des fab lab africains est mu par une volonté de partage des connaissances et d’ouverture de l’innovation : en Afrique comme ailleurs, ils questionnent ainsi les modalités habituelles de production, d’éducation, de propriété intellectuelle et, plus généralement, nous interrogent sur la place du citoyen dans les projets économiques et sociétaux.

La gestion collective d’une ressource

Entrepreneuriaux, associatifs, publiques, universitaires, les fab lab illustrent comment la théorie des communs peut inspirer les activités de production. Depuis l’attribution du prix Nobel d’économie à Elinor Ostrom en 2009 pour ses travaux sur les Common Pool Resources, les communs connaissent un engouement sans précédent. Ils renvoient à la gestion collective d’une ressource par une communauté qui se fixe des règles ad hoc et met en place une structure de gouvernance permettant la distribution des différents niveaux de droits et d’obligations et la résolution des conflits.

L’objectif que se fixe la communauté est au cœur du faire en commun. Dans le cas des communs structurés autour d’une ressource naturelle, il s’agit souvent, mais pas toujours, de la préservation en quantité ou en qualité de la ressource. Cette définition héritière des communs traditionnels (agriculture, pastoralisme, pêche) s’étend pour toute une nouvelle génération de communs, les communs dits informationnels, dont l’objectif est au contraire le partage, la dissémination et l’enrichissement du bien, soit un objectif d’« additionnalité ».

Les fab lab sont ainsi porteurs de cette dynamique. Le lieu vise le développement de la connaissance numérique, de sa diffusion, de son partage (réseau), de sa conservation (bibliothèque et plates-formes Web). Il met en commun les machines mais aussi les expériences. Il contribue à l’accumulation des savoirs et le reversement de ces connaissances via des programmes de formation. La connaissance est donc à la fois une composante du fab lab mais aussi un objectif.

Ce sont des lieux qui s’inscrivent à la fois dans un territoire, mais aussi dans les multiples ressources et communautés en ligne (logiciel libre, OpenStreetMap, réseaux sociaux). Cette dualité des communautés physiques et numériques se traduit par un double mouvement : une re-territorialisation, via un usage local, de communs numériques développés à l’échelle globale, et, par ailleurs, une dé-territorialisation des connaissances générées au sein des fab lab pour des usages à l’échelle mondiale.

Stéphanie Leyronas, Agence française de développement (partenaire du Monde Afrique), Gwenael Prié, Agence française de développement et Isabelle Liotard, Université Paris 13 – USPC

Ce texte s’appuie sur le projet de recherche « Des communs informationnels aux communs éducationnels : les fab lab en Afrique francophone », corédigé par Stéphanie Leyronas, Isabelle Liotard et Gwenael Prié.

Cet article a d’abord été publié sur le site de The Conversation.