Selon la Fondation Abbé Pierre, en 2015, 1,5 million de jeunes vivaient chez leurs parents malgré un emploi rémunéré, en CDI à temps complet pour la moitié d’entre eux. / THOMAS SAMSON / AFP

Etudiante, Olivia ne s’était jamais vraiment posé la question du logement. Diplômée en 
2016, elle a quitté sa résidence universitaire de Montpellier pour l’Ile-de-France. C’est là
qu’elle a trouvé un travail dans un grand cabinet de ressources humaines et a touché du
doigt l’indépendance. Touché du doigt seulement. Car avec son CDD de trois mois renouvelable, trouver un logement s’est avéré un combat.

« J’ai cherché en vain chez des particuliers, mais on me demandait trois fois le montant du
loyer, un CDI hors période d’essai, et des garants »
, raconte la jeune femme dans un
appel à témoignages lancé par Le Monde. fr. Autant de garanties qu’elle n’a pas. Après un
an de colocation à une heure de son lieu de travail, le CDI n’est toujours pas à l’ordre du
jour. A 29 ans, 1 700 euros nets par mois et un CDD d’un an, elle n’a eu d’autre choix que
de se tourner vers un foyer de jeunes travailleurs.

Comme elle, de nombreux jeunes actifs font face à « de réelles difficultés d’accès au logement, et pas seulement à Paris », assure Tommy Veyrat, délégué national de l’Union nationale des comités locaux pour le logement autonome des jeunes (UNCLLAJ), qui organise la semaine du logement des jeunes du 28 mai au 5 juin.

« A priori vis-à-vis des jeunes »

Selon la Fondation Abbé Pierre, en 2015, 1,5 million de jeunes vivaient chez leurs parents malgré un emploi rémunéré, en CDI à temps complet pour la moitié d’entre eux. Difficile de savoir combien y sont obligés. Mais une chose est sûre, selon Lucie Cahn, directrice générale de l’Association pour l’accès aux garanties locatives (APAGL) : « Les bailleurs ont toujours un a priori vis-à-vis des jeunes actifs. Ils ont beau être moins en impayé que les autres catégories d’âge, ils sont plus mobiles, ont moins de stabilité dans l’emploi, et ont souvent des ressources plus faibles. »

De véritables contraintes quand il s’agit d’accéder à la location, mode de logement largement majoritaire chez les 18-30 ans. « Le marché privé est de plus en plus difficile d’accès en raison des garanties exigées, qui sont de plus en plus importantes », explique Tommy Veyrat.

Stabilité du contrat, revenus souvent trois fois supérieurs au montant du loyer… Des conditions difficiles, voire impossibles, pour de nombreux jeunes actifs, et pas seulement les plus précaires. « Si on ne prononce pas le mot magique “CDI”, les agences ne cherchent même pas à comprendre et nous disent d’aller voir ailleurs », s’agace Yohan, en doctorat à Toulouse.

Or, la moyenne d’âge d’obtention du premier CDI est estimée à 27 ans, et plus de 85 % des embauches se font aujourd’hui en CDD. Plus de 37 % des actifs entre 15 et 29 ans sont en contrat temporaire, et plus de 23 % des 25-29 ans, contre moins de 15 % pour l’ensemble des salariés.

« Le CDD fait peur »

« Le CDD fait souvent peur aux bailleurs, on ne sait jamais si le locataire pourra payer à la fin, explique Fabien Court, directeur d’une agence immobilière à Paris. Si on a en face des dossiers en CDI, ou des étudiants avec garants, ils passeront avant. »

Et il est souvent impossible de se tourner vers le parc social dont les logements, trop peu nombreux et trop grands, sont inadaptés à la demande des jeunes, selon Claude Garcera, président de l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (UNHAJ). En 2013, 9,5 % des logements du parc social étaient occupés par des ménages de moins de 30 ans, contre 28 % des logements du parc privé.

Il a ainsi fallu plus de deux mois à Yohan, 26 ans, pour trouver un logement à Toulouse avec sa compagne. Il a fini par s’habituer à voir les « comportements changer » ou les « entretiens s’écourter » en agence dès qu’il annonçait la nature de leurs contrats, deux CDD. Il s’est alors tourné vers les particuliers, et après « 30 à 40 annonces » contactées et seulement quatre réponses, ils ont fini par trouver. Mais il a désormais une hantise : devoir déménager à nouveau, et recommencer.

« Un mois de négociations »

Quand le contrat est stable, ce sont parfois les revenus qui font défaut. « Dans des zones tendues, les loyers grimpent à une vitesse folle, surtout pour les petites surfaces, dont le prix au mètre carré est plus élevé, et les salaires exigés vont au-delà des ressources de beaucoup de jeunes », affirme M. Veyrat, de l’UNCLLAJ.

Lucile, jeune professeure, n’a essuyé que des refus de la part des agences immobilières franciliennes qu’elle a démarchées. « J’étais très surprise, car pour moi être fonctionnaire était une garantie », s’étonne-t-elle. Mais, selon les agences, son salaire de 1 500 euros nets ne lui permet pas de « prétendre à un loyer de plus de 495 euros ». « Impossible de trouver un logement à ce prix-là », assure-t-elle. Elle a finalement réussi à louer auprès d’un particulier.

Pour beaucoup, la solution est la caution solidaire, demandée par la plupart des bailleurs. Mais « tous les jeunes ne peuvent pas en avoir », explique Lucie Cahn, de l’APAGL. Comme Nils, charpentier de 26 ans, dont le CDI à mi-temps bloquait le dossier dans les agences d’Orléans. Et ses garants, l’un au chômage et l’autre en CDD, n’étaient pas de nature à rassurer. Ses parents lui ont finalement prêté l’équivalent de douze mois de loyer, qu’il a bloqués sur un compte en banque comme garantie pour son propriétaire.

Pour répondre à ce problème, l’Etat a créé en 2016 le dispositif Visale, via lequel il peut se porter garant pour les actifs de moins de 31 ans. C’est ce qui a permis à Marie, en CDI non confirmé à Paris, de trouver son logement. « Mais il a fallu plus d’un mois de négociations avec l’agence immobilière pour les convaincre de la sécurité et du fonctionnement de ce dispositif, qu’agences et bailleurs ne connaissent pas », explique-t-elle. En deux ans, 100 000 demandes ont été acceptées par Action logement, qui gère le dispositif ; 40 % ont donné lieu à un contrat avec un bailleur.

« Attendre patiemment la confirmation du CDI »

Reste que la caution solidaire est parfois interdite. Pour se prémunir des impayés, certains bailleurs, notamment en agences, font le choix de souscrire une assurance « garantie loyers impayés » (GLI), qui impose aux locataires d’être en CDI confirmé et de gagner trois fois de montant du loyer, mais les empêche d’avoir des garants, la loi interdisant depuis 2009 le cumul des garanties – sauf pour les étudiants.

Sur Paris, 30 m² se louent à près de 900 euros par mois en moyenne, ce qui oblige les locataires à gagner seuls au moins 2 700 euros nets, excluant de fait de nombreux jeunes. Pour Nicolas, ingénieur en région parisienne, rémunéré 3 000 euros nets par mois, ce n’est cependant pas le problème. S’il a dû retourner vivre chez ses parents à 28 ans, c’est en raison de sa période d’essai. Il doit donc « attendre patiemment la confirmation de [son] CDI pour trouver un logement », ce qui peut être long pour les cadres (jusqu’à huit mois).

La Fédération française de l’assurance estime que cette assurance couvre 20 % du parc privé. Elle précise que « les nouveaux logements mis en location sont plus fréquemment couverts, ce qui explique que la GLI se développe particulièrement dans les zones citadines dynamiques ». Celles, précisément, qui constituent des bassins d’emploi attirant les jeunes actifs.

« Enfin autonome »

Un non-sens selon Tommy Veyrat. « On trouve des jeunes qui renoncent à un emploi car ils n’ont pas de logement ! Les politiques devraient penser le logement comme une condition d’accès à l’emploi, et non l’inverse », assure-t-il.

Dans son projet de loi logement, le gouvernement prévoit de créer 20 000 logements pour les jeunes actifs, ainsi qu’un « bail mobilité » de un à dix mois non renouvelable sans dépôt de garantie. Une réponse seulement partielle, selon M. Veyrat, à la demande d’autonomie des jeunes sur le long terme.

L’autonomie, Marie a fini par y accéder. Cette auto-entrepreneuse a dû vivre durant un an et demi en colocation, faute de pouvoir louer seule un logement sur Paris, avant d’emménager avec son compagnon, chercheur en CDD. « C’est le feeling [avec le propriétaire] qui nous a sauvés », assure-t-elle. Il a accepté de leur louer l’appartement sans garant. A 30 ans, elle a « enfin l’impression d’être une adulte autonome », pour la première fois de sa vie.