Olivier Hervet, de la galerie HdM, implantée en Chine depuis 2009. / HDM GALLERY

Les annonces et les ouvertures à Shanghaï – notamment des antennes du Centre Pompidou et de la Fondation Prada, l’arrivée de nouvelles galeries internationales – montrent que la ville devient une nouvelle référence en matière d’art. Comment expliquez-vous ce tournant en tant qu’insider depuis près de dix ans en Chine ?

L’offre culturelle de Shanghaï a effectivement explosé ces dernières années. Selon moi, pour deux raisons principales. Premièrement, la création de son port franc, qui permet de stocker les œuvres et de les sortir pour une période de six mois sans payer les frais de douane élevés [de 21 %]. Cela facilite considérablement l’organisation d’expositions importantes. Deuxièmement, la puissance économique des acheteurs chinois, qui se sont imposés comme des acteurs majeurs du marché de l’art. Les galeries veulent désormais être au plus près de ces nouveaux collectionneurs. De leur côté, les musées souhaitent accroître leur visibilité, et attirer de nouveaux donateurs.

Quelle est votre perception de l’évolution du goût des amateurs et collectionneurs chinois depuis votre implantation dans le pays ?

L’ouverture à l’art international est le développement majeur de ces dernières années. Elle s’explique par le fait que beaucoup de jeunes collectionneurs ont étudié à l’étranger, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis pour la plupart. Ils ont donc été exposés depuis longtemps à des œuvres occidentales. Et maintenant que les procédures de visa se sont simplifiées, les collectionneurs plus âgés voyagent plus fréquemment à l’étranger. Par conséquent, les acheteurs chinois commencent à avoir des goûts plus éclectiques.

La galerie HdM a choisi de s’implanter à Pékin et à Hangzhou. Pourquoi ce choix plutôt que Shanghaï ?

Pékin reste la capitale de la création en Chine. La majorité des artistes y résident ou y ont fait leurs études. En tant que capitale, c’est toujours le centre culturel, politique et médiatique du pays. De fait, la plupart des galeries chinoises se situent à Pékin, où nous avons ouvert en 2009. Nous avons choisi d’ouvrir également à Hangzhou afin de renforcer un ancrage très local et de nous familiariser avec un nouveau groupe de collectionneurs. L’académie de Hangzhou a en effet formé beaucoup d’artistes, comme Zao Wu-Ki, Liu Wei, Wang Guangyi, Zhang Peili ou Gu Wenda. C’est une ancienne capitale culturelle et les habitants ont une vraie sensibilité artistique. A l’ouverture, en 2013, nous y étions la seule galerie commerciale.

Vous représentez une majorité d’artistes chinois, que vous contribuez aussi à faire connaître hors de Chine. Comment vous-êtes vous positionnés au fil du temps ?

Au début, nous exposions des œuvres sur papier, majoritairement d’artistes chinois. Maintenant, nous montrons beaucoup d’artistes étrangers. Les collectionneurs sont plus audacieux au niveau de l’origine, mais aussi des styles. Nous venons d’exposer Barthélemy Toguo avec beaucoup de succès, alors que lors de notre première exposition avec lui, nous n’avions quasiment rien vendu. Nous avons aussi des collectionneurs qui se sont ouverts à la sculpture, la vidéo et aux installations. Les choses évoluent dans le bon sens.

Vous venez de présenter à Pékin votre première exposition collective avec la totalité des artistes étrangers, curatée par l’artiste américain Spencer Sweeny. C’est un tournant ?

Oui, on ne l’aurait pas fait il y a trois-quatre ans. Aujourd’hui, on sait que ça va intéresser les gens. Nous présentons des artistes étrangers depuis un an et demi, avec des curateurs, pour le prestige, en général en duo avec un artiste chinois. Nous sommes à un moment où les galeries cherchent à créer des expériences dans leur espace. Pour attirer les visiteurs dans leurs murs, les galeries sont obligées de créer des choses vraiment uniques. Beaucoup de Chinois font leurs premiers pas vers l’art contemporain en voyant circuler des photos sur les réseaux sociaux, principalement sur WeChat, et ils viennent voir. Le modèle aujourd’hui, c’est de montrer des expositions en galerie qui laissent une grande liberté aux artistes, et de proposer des choses plus commerciales dans les foires.

Comment voyez-vous la suite à Shanghaï, où la mutation est plus récente qu’à Pékin ?

La scène locale va évoluer, avec plus de galeries de qualité, d’artistes de qualité, et davantage de foires. Depuis peu, Shanghaï est déjà la seule ville au monde avec New York à avoir deux foires de haut niveau la même semaine : Art 021 et West Bund. Les galeries Gagosian, Hauser and Wirth ou David Zwirner participent aux deux.

Cet intérêt pour l’art contemporain occidental se répercute-t-il sur le second marché, du côté des maisons de vente ?

Avant 2013, les maisons de vente étrangères implantées en Chine n’avaient pas le droit de vendre de l’art contemporain occidental. Le geste de François Pinault, qui a restitué à la Chine les deux têtes d’animaux en bronze pillées lors du sac du Palais d’été de Pékin [par l’armée française en 1860, et qui avaient été mis en vente lors de la dispersion de la collection de Pierre Bergé en 2009], a changé la donne. Car François Pinault, c’est Christie’s, qui est implanté à Shanghaï et à Hongkong. Mais, même si c’est aujourd’hui possible, on est encore très très loin des grosses ventes d’art contemporain internationales : c’est un problème de devise et de visa pour les acheteurs, mais aussi de transport, de spécialistes, d’accès et de logistique.