Tribune. Bientôt une multiplication des licornes africaines ? C’est une certitude, tant les start-up du continent innovent à un rythme spectaculaire. La révolution numérique est en train de transformer l’Afrique. En ignorant largement la téléphonie fixe pour s’emparer directement du mobile, le continent a réalisé un grand bond sur le plan technologique. Une évolution qui ouvre le champ des possibles en matière d’éducation – notamment pour les filles –, d’emploi des jeunes, et laisse espérer une croissance endogène, durable et inclusive.

Outre une généralisation de l’accès aux nouvelles technologies, le continent connaît une révolution des usages. La montée en puissance de l’Afrique s’est accompagnée de l’émergence de start-up qui proposent de nouveaux modes d’utilisation du numérique parfois sous-investis voire inconnus en Europe. L’exemple le plus emblématique est celui du mobile banking : 12 % de la population au sud du Sahara détient ainsi un compte bancaire sur son mobile, quand cela ne dépasse pas 2 % de la population dans le reste du monde.

Les start-up africaines investissent la fintech et vont explorer de nouveaux services de microcrédit-assurance et de transfert d’argent. Elles s’adaptent également aux besoins du continent avec, par exemple, des applications qui proposent des systèmes d’information de marchés agricoles. D’autres innovations permettent de faciliter la vie quotidienne des citoyens. Au Ghana, Accra Mobility a permis en quelques semaines de produire une carte inédite des « trotros », ces taxis collectifs qui transportent quotidiennement la majorité des habitants de la capitale, grâce à la carte libre d’Open Street Map.

Créer un environnement propice aux innovations

Pour aller plus loin encore, les acteurs africains doivent mener de front trois transformations dès à présent.

La première consiste évidemment à offrir un meilleur accès aux financements et à l’accompagnement des innovateurs. Les besoins de financements restent importants et l’écosystème d’investissement est encore balbutiant. Il faut, notamment de la part des investisseurs publics que nous sommes, pallier les défaillances de marché et créer un environnement propice pour que les innovations qui font la différence trouvent des financements.

C’est ce que nous faisons avec le programme Afric’Innov, un réseau qui fédère des incubateurs africains. Plus généralement, le groupe AFD développe une facilité de financement de l’innovation numérique qui va s’appuyer sur l’ensemble des produits de renforcement, d’accompagnement et d’investissement à sa disposition, avec sa filiale dévolue au secteur privé, Proparco, et son Social & Inclusive Business Camp à Marseille.

Deuxième défi : le saut technologique doit s’accompagner d’un impact positif et avéré sur le plan social. Les deux premiers concours Digital Africa ont permis d’appuyer 20 start-up africaines et françaises s’intéressant au continent, sur des sujets aussi divers que l’insertion professionnelle des jeunes Africains grâce au e-learning, la mise en réseau des producteurs agricoles pour trouver des débouchés ou la participation des citoyens à l’élaboration des politiques de la ville. La pénétration du mobile et de services innovants favorise l’inclusion sociale. A la demande du président de la République française, l’AFD travaille actuellement à passer Digital Africa à une nouvelle échelle pour favoriser l’éclosion d’écosystèmes ouverts et innovants.

Promouvoir un Internet neutre, ouvert et protecteur

Troisièmement, le numérique doit s’imposer comme l’instrument du renouvellement de l’action collective, publique et privée au service de l’intérêt général. S’informer, agir, demander des comptes est devenu une exigence croissante – et légitime – de la part des citoyens. L’e-gouvernement peut répondre à ces attentes. En France, des « start-up d’Etat » renouvellent déjà profondément nos services publics. Notre politique d’ouverture de la donnée publique est mondialement reconnue. Car la donnée ouverte est une infrastructure essentielle au service de la performance économique et de l’innovation sociale.

Sur le plan international, la France promeut aussi un Internet « libre » et sûr (c’est-à-dire neutre, ouvert et protecteur de la vie privée), au service de l’émancipation sociale (inclusion des femmes, éducation, accès aux services universels). Autant de principes que nous partageons avec nos partenaires africains. Autant de projets concrets dans lesquels nous co-apprenons, par exemple dans le cadre du Partenariat pour un gouvernement ouvert, qui met l’open data au cœur du dialogue entre les citoyens et les administrations.

Il est temps de prendre la mesure de l’Afrique, à l’invitation du stand Afric@tech au salon Vivatech [du 24 au 26 mai à Paris]. De changer de vision. De penser « Tout Afrique », de cesser de couper l’Afrique en deux, de voir les dynamiques régionales et continentales. De faire une véritable révolution copernicienne. Et si l’Afrique réussissait avec le numérique à inventer une nouvelle économie, réellement inclusive et durable ? A faire vivre de nouvelles formes d’action collective, performantes économiquement et socialement ? Une conviction profonde nous anime : la créativité de l’Afrique est un formidable ferment pour l’innovation mondiale. Nous devons co-apprendre aujourd’hui, car pour innover, le Sud inspire le Nord.

Rémy Rioux est le directeur général de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique).