Le militant pro-démocratie Rangsiman Rome, lors de la manifestation marquant les quatre ans du coup d’Etat de 2014, le 22 mai à Bangkok. / ATHIT PERAWONGMETHA / REUTERS

Pour « fêter » comme il se doit le quatrième anniversaire du dernier coup d’état en Thaïlande, celui du 22 mai 2014, la poignée de téméraires et idéalistes dissidents qui ose encore défier le pouvoir de la junte avait voulu organiser, mardi, une « marche pacifique » sur le palais du gouvernement, à Bangkok. Mais l’anniversaire n’aura pu être « fêté », la marche a fait long feu, la foule n’a pas été au rendez-vous, la police a bloqué les rues et les pluies de la mousson s’en sont mêlées. Finalement, une douzaine d’organisateurs et de manifestants, accusés de violer l’interdiction de rassemblement de plus de cinq personnes – qui empêche toute activité politique sous le régime militaire en place – ont été arrêtés et conduits au commissariat.

L’idée était de partir tôt le matin de l’université Thammasat, située près du fleuve Chao Phraya, traverser les quartiers historiques de la capitale, près du palais royal, avant d’arriver, 4 km plus loin, devant les bâtiments abritant les bureaux du premier ministre, le général Prayuth Chan-ocha. Au terme de la marche, les chefs du Groupe pour la restauration de la démocratie (DRG), une organisation d’étudiants protestataires, auraient alors remis une lettre pour exiger du gouvernement que soient organisées, comme il était initialement prévu, des élections législatives, en novembre. Pour l’instant, le général Prayuth campe sur ses positions : même s’il a déjà fait repousser le scrutin à plusieurs reprises depuis le putsch, la date fixée est désormais en février 2019. Pas avant. Il l’a redit mardi, au sortir du conseil des ministres : « La date [des élections] est février 2019 et les choses se passeront selon les impératifs de mon calendrier », a-t-il déclaré.

Juchés sur une camionnette devant une triple rangée de policiers, les meneurs du DRG avaient exhorté ces derniers, dès 8 h 30 du matin, de les laisser passer et d’entamer la marche. Durant plusieurs heures, ils ont essayé de négocier, mais rien n’y a fait. Même si, comme le disait vers midi au Monde la figure de proue du mouvement, le flamboyant Rangsiman Rome, grande silhouette aux lunettes carrées, « s’ils nous avaient laissé passer, la marche serait déjà terminée et nous aurions pu présenter nos doléances au gouvernement ».

Les dites doléances exigeant cependant la démission de la junte, affublée de l’orwellienne appellation « Conseil national pour la paix et l’ordre » (NCPO), ainsi que l’arrêt du soutien de l’armée au régime militaire, il y avait peu de chances que les demandes de la dissidence soient entendues.

Salut à trois doigts

En milieu d’après-midi, les organisateurs de la marche ont dû déclarer forfait et se rendre à la police. Avant de disparaître, bras tendu et main levée dans le salut à trois doigts rendu populaire par la série de films Hunger Games, désormais devenu le signe de reconnaissance de la dissidence thaïlandaise, le leadeur Rangsiman Rome, 25 ans, a dû reconnaître son échec dans un discours désabusé : « Depuis quatre ans, nous nous battons pour nos droits. Nous avons tout essayé. Au final, il est possible que nous ne puissions pas provoquer un retour à la démocratie », a t-il lancé à la foule, avant d’ajouter : « Plus tard, nous, ou d’autres, ou des gens plus jeunes reprendront le flambeau. »

A Bangkok, le 22 mai. / Gemunu Amarasinghe / AP

L’échec du rassemblement a été aussi populaire : à peine plus d’une centaine de personnes étaient prêtes à marcher sur le palais du gouvernement. La moyenne d’âge des manifestants, si l’on met à part les jeunes organisateurs étudiants, était d’au moins 50 ans, pour la plupart des nostalgiques du « clan » des Shinawatra, qui a donné deux premiers ministres au royaume depuis le début du siècle, tous deux renversés par l’armée. « Nous sommes venus pour exiger du gouvernement qu’il tienne enfin ses promesses d’élections », disait dans la foule Kajornsak, 75 ans, agitant le drapeau tricolore thaïlandais.

Mais il semble qu’après douze ans de manifestations et d’instabilité politique, période datant des lendemains de l’avant dernier coup d’état de 2006 et le renversement du premier ministre d’alors, Thaksin Shinawatra, les Thaïlandais soient fatigués. En 2010, l’armée avait tiré à plusieurs reprises dans la foule des partisans de Thaksin, baptisés « chemises rouges », faisant une centaine de morts à Bangkok.

En 2014, avant le coup d’Etat du 22 mai et le renversement de Yingluck Shinawatra, sœur de Thaksin qui avait réussi à se faire élire trois ans plus tôt durant un bref intermédiaire de restauration de la démocratie, des manifestations de rue avaient à nouveau bloqué le centre des affaires de la capitale. Des affrontements avaient fait une trentaine de morts.

Une certaine et récente embellie dans une économie par ailleurs maussade au regard de ce que fut la Thaïlande, naguère l’un des « tigres » les plus dynamiques de l’Asie du Sud-Est, s’ajoutant au fait que la junte militaire ne se montre pas aussi brutale que celles qui ont été au pouvoir dans le passé, coupe sans doute l’herbe sous le pied de la dissidence. Comme le déclarait récemment l’artiste contemporain Vasan Sitthiket, « les gens pensent que des élections ça ne sert plus à rien ».