Selon Mme Ni Aolain, la France a une responsabilité mondiale en termes d’influence politique dans le monde sur les droits de l’homme. / JOËL SAGET / AFP

La France est-elle en train de donner le mauvais exemple au monde en termes de respect des droits de l’homme ? C’est l’une des préoccupations manifestées mercredi 23 mai par Fionnuala Ni Aolain, rapporteuse spéciale des Nations unies de la promotion et de la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste.

Ses « conclusions préliminaires », remises mercredi au gouvernement français à l’issue d’une visite officielle de dix jours, relèvent les risques d’atteintes aux droits de l’homme, à la liberté religieuse et à la liberté d’expression que comportent certaines mesures introduites dans le droit français au nom de la lutte contre le terrorisme.

Ce verdict est d’autant plus ennuyeux, selon Mme Ni Aolain, que la France a une responsabilité mondiale en termes d’influence politique dans le monde sur les droits de l’homme. Elle a rencontré un très grand nombre d’acteurs, aussi bien responsables des services de renseignement et du ministère de l’intérieur, que la ministre de la justice, des associations de défense des victimes du terrorisme, etc.

« Etat d’urgence » et « entrave à la présomption d’innocence »

Son rapport affirme ainsi que la loi du 30 octobre renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, « instaure de facto un état d’urgence qualifiée dans le droit commun français ». Elle se dit « particulièrement préoccupée » par le recours aux notes blanches des services de renseignement pour justifier devant les juges des mesures de restriction des libertés, comme la fermeture d’un lieu de culte, une perquisition administrative ou une assignation à résidence. Ces notes blanches « représentent une entrave à la présomption d’innocence, renversent la charge de la preuve et affaiblissent les droits de la défense ».

Parmi ses recommandations, la rapporteuse spéciale de l’ONU plaide pour la création d’un organe de contrôle expert indépendant qui serait chargé d’évaluer les dispositions antiterroristes dans la durée. Elle reconnaît qu’elles ont déjà fait l’objet d’un véritable débat démocratique lors de leur adoption, mais que leur impact combiné pose problème :

« Je suis particulièrement inquiète de leur effet disproportionné et de la stigmatisation des citoyens de confession musulmane. Une communauté est considérée comme suspecte de facto par l’accumulation des lois antiterroristes. Ce n’était sans doute pas le but de ces mesures, mais c’est leur conséquence. »

Le délit d’« apologie du terrorisme »

Après avoir rencontré des personnes victimes de perquisitions administratives abusives pendant l’état d’urgence (portes défoncées en pleine nuit, femmes et enfants traumatisés… pour, finalement, ne rien trouver), Mme Ni Aolain constate que le droit au recours n’est pas effectif :

« Certains ne l’ont pas exercé de peur d’être davantage stigmatisé, ou de subir de nouvelles intrusions dans leur vie privée. Ils ne demandent pas d’argent, juste des excuses. (…) Lorsque il y a des erreurs, l’Etat doit réparer le lien qui a été rompu avec ces citoyens. »

L’autre point sur lequel elle se montre très sévère à l’égard de la France est l’inscription par la loi de novembre 2014 du délit d’« apologie du terrorisme » dans le code pénal, alors qu’il relevait auparavant de la loi sur la presse de 1881, au même titre que l’incitation à la haine raciale ou à la discrimination.

Mme Ni Aolain y voit un véritable risque de dérapage en matière de respect du principe de la liberté d’expression, alors que c’est aujourd’hui l’infraction pénale la plus poursuivie en matière de terrorisme. Selon elle, cette incrimination floue est dangereuse, et elle y voit pour preuve que 20 % des personnes poursuivies de ce chef d’accusation sont des mineurs et 6 % ont moins de 14 ans !

Un tel article de loi transposé dans des pays moins démocratiques permet tout simplement de mettre en prison des personnes dont les propos déplaisent au pouvoir en place, s’inquiète-t-on au Haut-Commissariat de l’ONU. Or, il se trouve que le Conseil constitutionnel a jugé, le 18 mai, cette disposition du code pénal conforme à la Constitution, et notamment au principe de liberté d’expression.

« Trouble à l’ordre public » ou « délit d’opinion »

Saisie dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité proposée par Jean-Marc Rouillan, ancien membre d’Action directe – condamné en mai 2017 à dix-huit mois de prison, dont dix avec sursis avec mise à l’épreuve pour apologie du terrorisme –, l’institution présidée par Laurent Fabius a estimé que « l’apologie publique, par la large diffusion des idées et propos dangereux qu’elle favorise, crée par elle-même un trouble à l’ordre public ». L’avocate de M. Rouillan y voyait, au contraire, un « délit d’opinion ».

En liberté conditionnelle après vingt-quatre ans passés en prison pour des assassinats terroristes, il avait déclaré à la radio au sujet des djihadistes qui avaient frappé la France en 2015 : « Moi, je les ai trouvés très courageux, en fait », tout en se disant hostile à leur idéologie « réactionnaire ». La Cour européenne des droits de l’homme sera probablement appelée à se prononcer sur cette infraction.

Il y a un domaine où « la France est exemplaire », ce sont les programmes mis en place à l’égard des victimes du terrorisme. Le rapport définitif de Fionnuala Ni Aolain sera soumis, en mars 2019, à Genève, à l’assemblée du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.