Matteo Salvini, le chef de file de la Ligue qui devrait s’installer au ministère de l’intérieur, à Rome, le 21 mai 2018. / Ettore Ferrari / AP

« D’abord les idées, après les hommes. » Ces belles paroles, répétées aussi bien par Matteo Salvini que par Luigi Di Maio, auront été le leitmotiv des dix jours de tractations qui ont conduit à l’adoption du « contrat pour un gouvernement de changement », le 18 mai, entre leurs deux partis, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles (M5S).

Pour autant, on n’est pas obligé de prendre au pied de la lettre ces professions de foi désintéressées : depuis l’ouverture des négociations, la lutte des places bat son plein. Et les discussions sont d’autant plus âpres et complexes qu’un troisième acteur est entré en scène : le président Sergio Mattarella, qui a veillé, ces derniers jours, à s’assurer que certains postes-clés seront occupés par des figures suffisamment pro-européennes pour ne pas provoquer un affrontement immédiat avec les partenaires de l’Italie.

Comme il l’avait fait savoir depuis des semaines, le chef de file de la Ligue, Matteo Salvini, devrait s’installer au ministère de l’intérieur, avec une liberté d’action quasi totale sur les dossiers de la sécurité et des migrants. Ses efforts des derniers jours ont été pour assurer à la Ligue un autre portefeuille capital, celui des transports, ayant la tutelle sur les ports italiens et les compagnies de garde-côtes. Quant à Luigi Di Maio, il pourrait hériter d’un grand ministère du travail et du développement économique.

Difficile de faire des compromis

Le ministère des affaires étrangères, lui, devrait revenir à Giampiero Massolo, une figure parfaitement « eurocompatible », neutre car étrangère à la Ligue comme au M5S. Ce grand commis de l’Etat, passé par Bruxelles, parle aussi bien le russe que l’anglais. Ancien chef des services secrets, il a également occupé le poste de secrétaire général du ministère des affaires étrangères, et est l’actuel président de l’armateur Fincantieri. Ses qualités de diplomate ne seront pas de trop dans les prochaines semaines. Problème : son profil et son parcours international froissent une partie de la base du M5S.

Les négociations semblent encore achopper sur le nom du futur ministre des finances, à propos duquel le président Mattarella aurait émis les plus sérieuses réserves. En effet, le candidat proposé par la Ligue, Paolo Savona, 81 ans, fait figure d’épouvantail, à Berlin comme à Bruxelles. Très eurosceptique, l’économiste s’était opposé, en 1992, au traité de Maastricht. Dans ses écrits, il a même décrit l’euro comme une « cage allemande », tout en dénonçant la mainmise d’une « hyperpuissance » germanique sur l’Europe.

Sur ce point crucial, il paraît particulièrement difficile de faire des compromis : le discours anti-euro est en effet au cœur de la dialectique de la Ligue, et renoncer à nommer Paolo Savona serait comme demander au parti de cesser de désigner l’Europe comme un bouc émissaire.

Or, ce point est l’axe central de la Ligue depuis qu’elle a cessé, sous l’impulsion de Matteo Salvini, d’accuser Rome de tous les maux. Aussi l’éventuelle nomination de Paolo Savona risquerait-elle d’être vue comme un signe de plus de la tentation d’un « Italexit » – une sortie de l’Italie de la zone euro –, auquel la Ligue, contrairement au M5S, ne semble pas avoir totalement renoncé.

« Fierté et dignité »

Matteo Salvini a déjà annoncé, ces derniers jours, qu’il ne saurait être question de « veto » sur ce poste, refusant de céder aux appels à investir un autre poids lourd du parti, Giancarlo Giorgetti, au profil nettement plus présentable, mais dont il a besoin ailleurs, comme ministre des infrastructures, ou pour occuper un poste moins exposé, crucial cependant politiquement : celui de secrétaire d’Etat à la présidence du conseil.

« Avec Savona, nous allons reconstruire une position italienne en Europe, avec fierté et dignité. Sa personne serait une garantie pour 60 millions d’Italiens : enfin quelqu’un irait à Bruxelles pour les défendre », renchérissait, mercredi après-midi, Matteo Salvini.

Très discret depuis le début de la crise postélectorale, le président de la Confindustria (le Medef italien), Vincenzo Boccia, a délivré, mercredi, à Rome, un discours très politique, devant l’assemblée générale de son organisation.

En présence de nombreux ministres, de Paolo Gentiloni, qui vit ses dernières heures au palais Chigi, et de la présidente du Sénat, Maria Elisabetta Casellati (Forza Italia), il a violemment critiqué les options économiques de l’alliance Ligue-M5S, puis rappelé l’attachement inconditionnel du patronat envers l’Europe, assurant que l’Italie « avance et gagne avec l’Europe, et dans l’Europe ».