La destruction du site d’essai nucléaire a été retransmise à la télévision sud-coréenne, ici dans la gare de Séoul, en Corée du sud. / AHN YOUNG-JOON / AP

Pyongyang l’avait promis le 12 mai. Jeudi 24 mai, le régime nord-coréen a officiellement annoncé avoir totalement démantelé le site d’essais nucléaires de Punggye-ri, situé au cœur des montagnes du nord-est du pays.

L’opération a été menée en présence de quelques journalistes – américains, chinois, russes, anglais et sud-coréens. Elle survient à l’approche du toujours plus hypothétique sommet du 12 juin à Singapour entre le président américain, Donald Trump, et le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, qui est supposé permettre de discuter de la dénucléarisation de la République populaire et démocratique de Corée (RPDC, nom officiel de la Corée du Nord).

« Il y a eu une explosion énorme, on a pu la ressentir. La poussière nous arrivait dessus, la chaleur nous arrivait dessus. Le bruit était très fort », a déclaré Tom Cheshire, un journaliste de Sky News, sur le site de la chaîne de télévision britannique.

Photographie satellite du 23 mai 2018, montrant le site d’essais nucléaires de Punggye-ri, fournie par DigitalGlobe. / AP

L’agence de presse Yonhap, qui cite des journalistes d’un pool sud-coréen présents, a déclaré que de multiples explosions avaient pu être entendues tout au long de la journée, entre 11 heures et 16 h 17 (5 heures-10 h 17, heure française).

Selon Pyongyang, deux tunnels sur le site étaient prêts à être utilisés pour mener des essais nucléaires. Les responsables nord-coréens ont par ailleurs déclaré qu’il n’y avait pas de fuite de matériaux radioactifs dans l’environnement.

Six essais nucléaires menés à Punggye-ri depuis 2006

C’est à Punggye-ri que le régime de Pyongyang a mené ses six essais entre 2006 et 2017 – le dernier ayant été un test de bombe à hydrogène. Son démantèlement devait témoigner de la bonne foi du régime quand il affirme vouloir « mettre fin aux essais nucléaires en toute transparence ».

Les quatre tunnels du site, dont certains seraient inutilisables en raison des essais répétés, ce que conteste Pyongyang, ont été dynamités et les accès fermés. Plusieurs installations avaient auparavant été démontées.

Le démantèlement a lieu alors que la dynamique positive observée depuis le début de l’année dans la péninsule coréenne semble enrayée, comme en témoignent les échanges toujours vifs entre Pyongyang et Washington.

Dans un communiqué diffusé le 24 mai par l’agence de presse KCNA, Choe Song-hui, vice-ministre des affaires étrangères de la RPDC a annoncé que le sommet pourrait être reconsidéré si « les Etats-Unis insultent notre bonne volonté et s’attachent à des actes illégaux et outrageants ».

Mme Choe réagissait aux propos formulés le 21 mai sur Fox News par le vice-président américain Mike Pence. D’après lui, tout finirait « comme en Libye si Kim Jong-un ne conclut pas un accord ».

La Libye avait renoncé en 2003 à son arsenal nucléaire, qui a été détruit en 2011 par une intervention armée soutenue par les Américains. « Nous ne supplierons pas les Etats-Unis ni ne prendrons la peine de les convaincre s’ils ne veulent pas s’asseoir avec nous », a ajouté Mme Choe qui a par ailleurs qualifié M. Pence de « crétin politique ».

Remise en cause

Le 16 mai, Pyongyang avait déjà remis en cause le sommet et annulé une rencontre de haut niveau avec Séoul, justifiant ce revirement par l’organisation de manœuvres américano-sud-coréennes et par son mécontentement face à des négociations que le régime nord-coréen perçoit comme à sens unique.

« Si les Etats-Unis nous placent au pied du mur et exigent unilatéralement que nous renoncions à l’arme nucléaire, nous n’aurons plus d’intérêt pour des discussions et nous ne pourrons que reconsidérer le sommet à venir », avait déclaré dans un communiqué le vice-ministre des affaires étrangères, Kim Kye-gwan. M. Kim dénonçait également la tentation « extrêmement sinistre visant à imposer » à son pays « le destin de la Libye ou de l’Irak ».

Les Etats-Unis veulent une dénucléarisation « complète, vérifiable et irréversible » de la RPDC et promettent en échange un soutien au développement économique.

Pour l’instant, Washington n’a concrètement rien cédé, alors que la RPDC, pour laquelle la dénucléarisation de la péninsule passe notamment par la suppression du parapluie nucléaire américain sur le Sud, a accepté le 9 mai de libérer les trois ressortissants américains détenus dans le pays.

Et elle a procédé au démantèlement de Punggye-ri, une opération considérée davantage comme symbolique que significative car elle montre que la RPDC a suffisamment confiance dans ses capacités pour se passer d’essais souterrains. Depuis le dernier test de septembre 2017, les dirigeants enchaînent les déclarations, laissant entendre que Punggye-ri n’a plus d’utilité. « Le site d’essai a terminé sa mission », a déclaré Kim Jong-un en avril, selon l’agence de presse officielle KCNA.

Dans le même temps, les autorités nord-coréennes n’ont pas convié d’experts des questions nucléaires à Punggye-ri, et les spécialistes estiment qu’il ne faudrait que quelques semaines à Pyongyang pour le réaménager, en cas de besoin.

Moon Jae-in, le trait d’union

Le démantèlement rappelle par ailleurs la destruction de la tour de refroidissement de la centrale nucléaire de Yongbyon, en juin 2008, à la suite d’un accord passé dans le cadre des négociations à six (Chine, deux Corées, Etats-Unis, Japon et Russie), resté sans suite.

Cela dit, face au risque pesant sur le sommet de Singapour, le président sud-coréen, Moon Jae-in, inlassable promoteur du dialogue et déjà ordonnateur du sommet intercoréen du 27 avril qui s’est traduit par un engagement en faveur de la dénucléarisation totale de la péninsule, s’efforce de maintenir la dynamique de rapprochement.

Le 22 mai, lors d’un sommet à Washington, il aurait convaincu Donald Trump – qui avait auparavant annoncé un possible report du sommet – de la bonne foi nord-coréenne sur la dénucléarisation.

« Sur Singapour, nous allons voir, et cela pourrait arriver, cela pourrait très bien arriver », a par la suite déclaré M. Trump aux journalistes. « Mais quoi qu’il en soit, nous le saurons la semaine prochaine à propos de Singapour et, si nous y allons, je pense que ce sera une bonne chose pour la Corée du Nord. »