La pyramide du Louvre de l’artiste chinois Ieoh Ming Pei, à Paris. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

Y a-t-il une « école » française d’architecture ? Depuis le système des beaux-arts, longtemps envié à l’étranger, depuis l’influence de Le Corbusier, le plus français des architectes suisses, le pays ne manque pas de « starchitectes ». Pour autant, les Jean Nouvel, les Christian de Portzamparc, les Wilmotte ou les Ricciotti ont-ils fait « école »? Rien n’est moins sûr. L’époque change et les regards aussi. La formation, qui ne peut ignorer ces transformations, se conjugue désormais au pluriel.

Les Ecoles nationales supérieures d’architecture (ENSA) connaissent cette année une phase de mutation majeure dont le premier effet est de les fondre dans le tissu de l’enseignement supérieur, au côté des universités et des grandes écoles. Le 15 février, elles ont ainsi fait l’objet de plusieurs décrets : l’un crée un statut unique d’enseignant-chercheur, un autre est relatif à la modification de leur statut juridique et de leur organisation administrative. Cette dernière scelle l’autonomie des écoles, notamment pour le recrutement de leurs professeurs, et accorde une place plus importante aux représentants des élèves dans l’organisation des études et dans l’offre de formation.

Schéma « licence, maîtrise, doctorat »

Cette agitation n’est pas récente. Depuis 2005, les ENSA ont été invitées à harmoniser le déroulement et l’intitulé de leurs études avec le schéma « licence, maîtrise, doctorat » (LMD), selon les standards européens en vigueur pour l’enseignement supérieur. Une des implications de cette mise en conformité est que les écoles d’architecture sont évaluées tous les cinq ans en vue de leur accréditation, formulée par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’architecture, ce qui revient à les soumettre de fait à une sorte de double tutelle.

Les ENSA ont également dû poursuivre, voire initier, des partenariats et des échanges pédagogiques dans leurs territoires au sein des désormais incontournables communautés d’universités et établissements (Comue), fer de lance de la pluridisciplinarité. Il leur a fallu dans le même temps répondre aux recommandations portées par des initiatives parlementaires, notamment le rapport Feltesse relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche en 2013, puis par des vœux ministériels, en particulier la « stratégie nationale pour l’architecture » formulée en 2015 par Fleur Pellerin, alors ministre de la culture et de la communication.

« Révolution culturelle »

C’est à la lumière de cette « révolution culturelle » en cours, dont il est difficile de mesurer la nature précise des transformations et leurs conséquences, qu’il faut appréhender la situation des ENSA. « L’enseignement de l’architecture ne va pas mal, dit le directeur de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville (ENSA-PB) et président du collège des directrices et directeurs des écoles d’architecture. Les écoles d’archi ont beaucoup progressé depuis qu’elles ont quitté le système des beaux-arts. »

Née au début du XIXsiècle de la scission avec l’Ecole polytechnique, la formation d’architecte revient alors à la seule Ecole des beaux-arts de Paris. Après la création d’un diplôme en 1867, et face au mécontentement des architectes de province, des écoles régionales se créent à l’aube du XXsiècle. D’abord à Rouen, Rennes, Lille, Lyon et Marseille, puis, dans les années 1920, à Strasbourg et Grenoble, et enfin, dans les années 1940, à Bordeaux, Toulouse, Nancy, Nantes et Clermont-Ferrand. Ces « antennes » doivent toutefois passer sous les fourches Caudines de leur maison mère pour valider leurs cursus. Soumis à des tensions sociales et culturelles, le système des beaux-arts (ses ateliers, ses maîtres, son prix de Rome), dans ses structures comme dans ses pédagogies, finit par exploser en mai 1968.

De cet éclatement naît la formation « moderne » de l’architecte, qui se traduit immédiatement, notamment à Paris, par l’émergence des unités pédagogiques (UP ou UPA). Au même moment, les établissements en région s’émancipent de leur tutelle parisienne. Après une période où le format raisin (de dimension 50 x 65 cm), propice au dessin, s’efface au profit du format A4 (21 x 29,7 cm), support symbolique des sciences humaines et sociales, nouvelles maîtresses du jeu en archi, il faut attendre les années 1980 pour que les écoles se recentrent sur l’enseignement du projet architectural et urbain, axe majeur et force de leur politique éducative actuelle.

Les formations au métier d’architecte, telles que reconnues par le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), sont aujourd’hui dispensées en France par 22 établissements : les Ecoles nationales supérieures d’architectures (ENSA), au nombre de vingt, soumises à la tutelle du ministère de la culture et de la communication ; l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Strasbourg, qui dépend du ministère de l’enseignement supérieur ; et l’Ecole spéciale d’architecture (ESA), située à Paris, seul établissement privé reconnu par l’instance ordinale.

Approche pluridisciplinaire

L’ensemble est complété par l’Ecole de Chaillot, implantée au sein de la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris. L’établissement, ouvert aux titulaires d’un diplôme d’architecte, dispense une formation spécifique dans la conservation et la restauration architecturales, urbaines et paysagères (architecte du patrimoine). Elle forme également les architectes et urbanistes de l’Etat (AUE), qui jouent un rôle essentiel auprès des élus locaux pour accompagner l’évolution des territoires.

Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine, ville et territoire, sciences et techniques appliquées à la construction, sciences humaines et sociales, arts et techniques de la représentation et histoire de la culture architecturale : les champs disciplinaires abordés dans les écoles d’architecture couvrent l’ensemble des problématiques liées au monde construit. Mais pas seulement. Les ENSA sont également sensibles aux mutations du monde, qu’il s’agisse d’intelligence artificielle ou de l’urgence qu’imposent la transition écologique ou l’explosion de la démographie. Leur approche pluridisciplinaire implique, pour certaines d’entre elles, la création d’unités ou de laboratoires de recherche.

Procédure très sélective

L’accès aux écoles d’architectures se fait d’abord sur dossier, puis à l’issue d’un entretien. La procédure est très sélective: environ un(e) candidat(e) sur sept est retenu(e). Sur l’ensemble du territoire, entre 17 000 et 19 000 étudiant(e)s sont inscrits en architecture en France, soit un nombre très en deçà des autres pays européens. Un écart qui se retrouve sur le terrain : il y a un peu moins de 30 000 architectes inscrits au tableau de l’ordre, soit la moitié du nombre que l’on trouve en Allemagne. Le chiffre d’affaires de la profession suit la même proportion. Une limitation qu’explique la taille des établissements dont on ne peut pousser les murs et qui justifie le développement des politiques de site.

Les attelages à géométrie variables au sein des Comue, entre ENSA, universités et écoles d’ingénieurs, offrent de nombreuses configurations dont des partenariats avec des écoles étrangères. Ils permettent, outre la préparation de postmasters, la mise en place de doubles cursus : architecte-ingénieur, ou l’inverse, ou architecte urbaniste. La palette des formations s’étoffe, ce qui augmente d’autant leur attractivité.

Ce système de regroupement doit permettre aussi, et c’est l’un de ses objectifs principaux, d’offrir aux formations une meilleure visibilité sur le plan international. En tentant de rapprocher le modèle français de celui de ses voisins européens (allemand, belge, grec, italien, néerlandais ou portugais) où l’enseignement de l’architecture est le plus souvent intégré au cœur de campus universitaires ou polytechniques.

Des suppléments et un salon du « Monde », pour partir à l’étranger

Le Monde publie, dans son édition datée du 24 mai, un supplément de huit pages consacré aux écoles dans les secteurs de l’excellence française – la fameuse « french touch » –, qui permettent à leurs diplômés de partir étudier ou travailler à l’étranger. Ses articles sont progressivement mis en ligne sur cette page du Monde Campus. Dans l’édition datée 5 juin, un cahier spécial sera consacré aux destinations préférées des expatriés et à l’impact de la vague numérique sur l’offre d’emploi à l’international.

Le Forum Expat 2018, organisé par le groupe Le Monde mardi 5 juin (jusqu’à 21 heures) et mercredi 6 juin à la Cité de la mode et du design, à Paris, réunira de nombreux acteurs de l’expatriation et d’anciens expatriés, pour permettre aux candidats au départ de s’informer pour travailler, entreprendre, vivre au quotidien et gérer son patrimoine à l’étranger. Sont également prévues des conférences thématiques animées par des journalistes de Courrier international et des experts en mobilité. Entrée gratuite, préinscription recommandée.