Saki Kumagai, au premier plan, lors du match face au PSG, le 19 mai 2017. / JEAN-SÉBASTIEN ÉVRARD / AFP

Ni française, ni américaine, ni allemande. La joueuse majeure des nombreux succès de l’Olympique lyonnais serait japonaise. Originaire de Sapporo sur l’île d’Hokkaido, la plus septentrionale du Japon, Saki Kumagai a su se rendre indispensable au sein du club double champion d’Europe en titre, qui vise face à Wolfsburg en finale, jeudi 24 mai à Kiev, un troisième sacre de suite. Arrivée dans le Rhône à l’âge de 22 ans, après seulement deux années passées en Europe à Francfort, la milieu de terrain nippone a pourtant affronté une concurrence acharnée.

Douze fois champion de France d’affilée, l’OL est en effet la véritable référence internationale du football au féminin, l’équivalent du Real Madrid chez les hommes. Sur les neuf dernières éditions de la Ligue des champions, Lyon n’a manqué que deux finales et s’est imposé à quatre reprises. Depuis 2013, au milieu de toutes ses nombreuses joueuses internationales, le club du président Jean-Michel Aulas a vu passer trois championnes du monde dans ses rangs.

Kumagai, titrée en 2011 avec l’équipe du Japon, est la seule à avoir duré : à son compteur, 152 matchs et 33 buts en cinq saisons. Pourtant beaucoup plus médiatisées et gagnantes de la Coupe du monde 2015, les superstars du soccer US, Alex Morgan, restée seulement six mois en 2017, et Morgan Brian, souvent blessée depuis son arrivée en janvier, sont loin de s’être adaptées avec le même succès.

Les entraîneurs passent, Saki Kumagai reste. La Japonaise en a côtoyé trois différents à Lyon sans que cela ne change rien à son statut. L’arrivée de Reynald Pedros cette saison n’a pas fait exception. L’entraîneur de ses débuts lyonnais, Patrice Lair aujourd’hui sur le banc du rival du PSG, ne s’y trompait pas alors qu’il commençait par l’aligner en charnière centrale avant qu’elle soit replacée à son poste de prédilection devant la défense : « Kumagai, c’est fabuleux ! Elle est bonne techniquement, elle est intelligente et, en plus, au milieu de terrain, elle est encore meilleure. Je pourrais même la mettre en milieu de terrain. Avec Wendie Renard, quand elles sont en forme, c’est la meilleure défense centrale du monde en ce moment. »

« Faire vivre le talent des autres »

Loin d’être la plus rapide, la plus physique ou la plus spectaculaire, Kumagai a parfaitement intégré ses faiblesses dès le plus jeune âge, elle qui a commencé le football en suivant les traces de son frère de quatre ans son aîné : « Désolée mais je n’ai pas la vitesse, je ne peux pas marquer souvent… Dès toute petite, je jouais avec les garçons. A partir de 12 ans, je ne gagnais plus à la course, physiquement, j’étais en dessous. J’ai dû réfléchir à comment m’adapter pour continuer à jouer avec eux. »

Partie à 15 ans à 800 km du cocon familial, elle a façonné son football en conséquence, en intégrant le lycée Tokigawi Gakuen de Sendai, réputé pour abriter la meilleure équipe féminine du pays. Si elle est aujourd’hui un rouage essentiel d’un des meilleurs clubs au monde, c’est que la Japonaise possède un talent rare et recherché dans un sport où l’individualisme est souvent valorisé : elle rend ses coéquipières meilleures. « Dans n’importe quelle équipe, mon but est de devenir un pilier, un soutien. Pour survivre à l’OL, entourée de toutes ces grandes joueuses, il faut faire vivre le talent des autres, assurer l’équilibre général pour leur permettre d’exprimer leurs points forts », analyse-t-elle.

Longtemps dominé par son voisin chinois, et dans une moindre mesure par les deux Corées, le football féminin japonais s’est mis à (presque) tout gagner au tournant des années 2010. La sélection nippone a garni un palmarès, vide jusqu’alors, d’une Coupe du monde, d’une médaille d’argent olympique (2012) et de ses deux premiers titres de champion d’Asie (2014 et 2018). Et Saki Kumagai a été partie prenante de cette montée en puissance.

Sélectionnée dès l’âge de 17 ans, la future capitaine des Nadeshiko (« Œillets ») est devenue célèbre dans l’Archipel en transformant trois ans plus tard le tir au but victorieux d’une finale épique face aux terreurs américaines. A 20 ans, au même âge, ce n’est pas sans rappeler ce qu’avaient réalisé les Bleus Thierry Henry et David Trezeguet en quart du Mondial 1998 contre l’Italie : les deux Monégasques n’avaient pas tremblé pour inscrire les 3e et 4e tentatives tricolores.

Japan wins World Cup Soccer 2011
Durée : 01:09

Kumagai est désormais réputée pour être une grande spécialiste de l’exercice. Elle raconte son fait d’arme le plus saillant, celui qui a contribué à sortir la pratique féminine de l’anonymat au Japon : « Tout le monde me parle de cette séance de tirs au but. En fait, moi j’aime pas trop ça, même si maintenant, avec l’expérience, ça va mieux. En 2011, je ne m’attendais pas à tirer. Quand le coach l’a décidé, j’étais choquée. Pourquoi moi ? Comme notre gardienne avait fait beaucoup d’arrêts, j’avais moins de pression. »

Alors que les hommes n’ont jamais franchi les 8es de finale d’un Mondial, même à domicile en 2002, les footballeuses deviennent à la surprise générale championnes du monde. Le nombre de licenciées progresse, les supporteurs s’intéressent en plus grand nombre. L’environnement confidentiel de Kumagai et de ses coéquipières change d’un seul coup. En cinq ans à Lyon, la capitaine japonaise a déjà fait l’objet de quatre reportages télévisés de la part de chaînes majeures comme la NHK (télé publique).

A Lyon jusqu’en 2020

A Lyon et en France, la jeune femme de 27 ans ne bénéficie pas d’une notoriété à la mesure de son rôle crucial sur le terrain. Malgré une maîtrise du français correct, elle est loin d’être la plus sollicitée en interview. « Après les matchs, on dit toujours un peu la même chose d’autant plus que mon vocabulaire est réduit. Avec des joueuses comme Wendie [Renard] et Eugénie [Le Sommer], je ne suis pas forcément au centre de l’attention mais ce n’est pas grave. Ça me va très bien », dit-elle en plaisantant.

Dans les rares articles qui lui sont consacrés, on met en avant ses qualités sportives toujours associées à une prétendue discrétion, qui a plus à voir avec le cliché occidental sur les Japonais qu’avec la réalité. Saki Kumagai est très sociable et pleine d’énergie. Propriétaire d’un petit café dans le 7e arrondissement de Lyon, Keiko Kinoshita est devenue la plus grande fan de sa compatriote, qui fréquente son établissement, prenant place régulièrement derrière le comptoir de la petite salle : « On parle, on mange de bonnes choses car elle adore ça. Elle est abordable, rigolote et super sympa. »

A l’aise à l’OL, la championne du monde a récemment prolongé son contrat jusqu’en 2020 avec en ligne de mire les Jeux olympiques qui auront lieu la même année à Tokyo. « J’ai vraiment très envie de jouer devant mes amis et ma famille. Je vais donner le maximum », proclame-t-elle. Auparavant, la footballeuse aura encore l’occasion l’an pochain de briller dans sa ville d’adoption. Et pas seulement avec son club. Le stade, qui appartient à l’Olympique lyonnais, accueillera les deux demi-finales et la finale de la Coupe du monde 2019.