Manifestation « Fête à Macon », le 5 mai, à Paris. / ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

Ils promettent un « 26 mai pimenté ». Le Comité Adama – une association créée après la mort d’Adama Traoré, 24 ans, lors de son interpellation en 2016 par les gendarmes dans le Val d’Oise – appelle « les quartiers populaires » à former « un cortège de tête » devant la « marée populaire parisienne ». Cette manifestation est appelée par une cinquantaine d’associations, de syndicats et de partis de gauche et doit être le point d’orgue de l’opposition à la politique d’Emmanuel Macron. L’occasion rêvée, donc, pour les militants « des quartiers populaires », de « montrer de quoi [ils sont] capables » et d’occuper les premiers rôles politiques. « On veut dire : vous vous mettez derrière nous, vous suivez nos luttes. On va au bout du processus, et on prend le contrôle de la manifestation unitaire, explique au Monde le porte-parole du comité, Youcef Brakni, 32 ans. Ils veulent des ouvriers, et ils regardent ailleurs… Alors on va se mettre devant. On n’a besoin de personne pour parler à notre place. »

L’appel du Comité Adama a été publié le 18 mai sur les réseaux sociaux et rencontre un certain succès. Dans son viseur, les organisations de gauche. « Il est temps d’en finir avec les appels creux à “la convergence des luttes”, peut-on ainsi lire. Nous refusons les injonctions qui sont faites aux mouvements des quartiers populaires de n’aborder que “la question sociale”, avec au passage un refus de considérer le racisme qui structure la société comme participant de cette “question sociale”. […] On assiste à une véritable gestion coloniale des quartiers qui font face aux violences policières. »

« Il n’y a pas plus politisé que les quartiers populaires »

La publication de cet appel est une sorte de tournant pour le « cortège de tête » − groupe affinitaire réunissant des militants radicaux se réclamant de l’antifascisme, de l’anarchisme ou de l’autonomie, dont certains constituent le black bloc, en raison de leur tenue entièrement noire, masques ou cagoules compris. Cette fois, la seule dimension émeutière veut être dépassée, laissant la place à un message politique et des revendications. Soit une forme plus classique de contestation.

« Il n’y a pas plus politisé que les quartiers populaires, même si cela ne se traduit pas par des manifestations. Les luttes sont là, mais on ne veut pas les voir. On n’a pas de leçons à recevoir, nous sommes la cible numéro un des politiques de Macron », continue M. Brakni. Il ajoute : « La gauche ne veut pas se confronter à ces luttes. Mais on ne sera pas un réservoir électoral. Il faut respecter les gens, ce pourquoi ils se battent. »

Dans leur texte, les militants du Comité Adama insistent sur les violences policières et le « racisme d’Etat ». Selon eux, la gauche entre dans cette logique « post-coloniale » et fait preuve de paternalisme envers les quartiers populaires et notamment les musulmans. « Ce n’est pas possible de demander les voix des quartiers et de faire les déclarations comme celles d’Adrien Quatennens (député LFI du Nord) et Jean-Luc Mélenchon sur la militante voilée de l’UNEF, de hurler avec l’extrême droite », résume M. Brakni.

« On a des comptes à demander à la gauche »

L’action antifasciste Paris-Banlieue, proche du Comité Adama, a très rapidement appuyé la démarche. « C’est un événement politique majeur », écrivent les antifascistes franciliens. Ils dénoncent un « apartheid social et racial qui structure la métropole parisienne », une « violence industrielle » de la part de l’Etat contre « les damnés des métropoles ». Avant de conclure : « Nous appelons toutes et tous à se retrouver en tête de cortège, derrière ces collectifs, en veillant à ne pas les invisibiliser par nos pratiques. » En langage de militant radical, cela veut dire : pas de constitution d’un black bloc qui pourrait faire fuir les familles, mais aussi mettre en danger les migrants et les sans-papiers qui doivent être présents samedi aux côtés du Comité pour Adama. Une consigne similaire avant été lancée − et plutôt respectée − lors de la marche pour la justice et la dignité de 2017.

Les partis de gauche et les organisateurs de la « marée populaire » sont dans l’embarras, notamment LFI qui est implantée dans les quartiers populaires (six députés sur les dix-sept que compte le groupe à l’assemblée nationale ont été élus en banlieue parisienne). Impossible, pour eux, de critiquer la démarche du Comité Adama au risque de se voir reprocher un certain paternalisme. « J’aurais préféré que l’on discute avec eux pour les intégrer au “cortège des luttes” de la manifestation où ils ont toute leur place », indique Eric Coquerel, député La France insoumise (LFI) de Seine-Saint-Denis qui représentait LFI lors des préparatifs de la manifestation. « Leur engagement montre l’effet d’entraînement autour du 26 mai, veut croire Clémentine Autain, députée du même département. Que des collectifs qui se réclament des quartiers populaires et du combat antiraciste viennent est une belle nouvelle. » De son côté, Youcef Brakni prévient : « On a des comptes à demander à la gauche, l’heure du bilan est là. Elle ne comprend que le rapport de force politique. » Y compris dans la rue.