Un champ de betteraves sucrières, à Bavois, en Suisse. / DENIS BALIBOUSE / REUTERS

Vendredi 25 mai, Etienne Kuhn ira à Berne, au Parlement fédéral suisse, déposer son initiative « pour une Suisse libre de pesticides de synthèse ». Ce citoyen neuchâtelois, aidé de six amis, a réussi à récolter en moins de deux ans les 100 000 signatures nécessaires à tout citoyen helvète pour lancer une initiative populaire, c’est-à-dire un projet de référendum. En vertu de la démocratie du pays, sa proposition devrait être soumise au vote de tous les électeurs d’ici trois ans.

Son texte propose de modifier la Constitution en interdisant les produits phytosanitaires de synthèse « dans la production agricole, la transformation des produits agricoles et l’entretien du territoire ». La mesure concernerait aussi directement le consommateur, puisque « l’importation à des fins commerciales de denrées alimentaires contenant des pesticides de synthèse ou pour la production desquelles des pesticides de synthèse ont été utilisés » serait interdite. Si le texte est voté, il deviendrait impossible, en Suisse, d’acheter des tomates ou des fraises espagnoles pulvérisées aux pesticides ou même d’acquérir un désherbant chimique pour entretenir son jardin.

« Il faut être cohérent »

Pour Etienne Kuhn, il était important de ne pas cibler que les agriculteurs.

« A quoi cela sert-il d’interdire les pesticides aux paysans, alors que toutes les familles du pays avalent quotidiennement ces poisons ? Il faut être cohérent : en supprimant ces substances des étals des supermarchés, on protège le peuple suisse. La nourriture durable ne sera plus l’apanage des plus aisés. Les plus modestes pourront aussi se nourrir sainement. »

La mise en œuvre de ces dispositions devrait s’étaler sur dix ans, prévoit le texte. Pour Etienne Kuhn, c’est un délai largement suffisant. « La reconversion vers une agriculture durable prend entre trois et cinq ans, selon nos recherches, précise-t-il. Cette idée n’a rien d’irréaliste. En Suisse, 6 000 paysans fonctionnent déjà sans pesticides. » D’après un rapport du gouvernement helvète paru en septembre 2017, « 13,5 % des terres agricoles utiles sont cultivées en Suisse selon les prescriptions de l’agriculture biologique ».

Ce pourcentage a beau augmenter, les inquiétudes vis-à-vis de l’environnement sont vives, surtout depuis la publication de données sur la pollution des cours d’eau. En juin 2017, le réseau national d’observation de la qualité des eaux souterraines révélait qu’un cinquième des échantillons prélevés présentaient des résidus de pesticides ou de nitrates plus élevés que les seuils officiels. Quelques mois plus tard, le ministère de l’environnement mettait sur la table une révision de l’ordonnance sur la protection des eaux qui visait à augmenter ces mêmes seuils de tolérance.

Face aux levées de boucliers des associations écologistes, le gouvernement a émis un plan d’action qui vise à réduire de 30 % l’utilisation des produits phytosanitaires d’ici à 2027. Les mesures proposées vont du désherbage mécanique à l’aide de machines à l’emploi de pulvérisateurs limitant les émissions de pesticides. Mais cela n’est pas suffisant pour Etienne Kuhn, qui défend une interdiction totale. Ce passionné de musique employé chez Sony assure qu’il n’est lié à aucun parti politique en particulier, pas plus que les autres membres du comité d’initiative. « Nous sommes tous des citoyens lambda », assure-t-il.

Etienne Kuhn n’est pas le seul à avoir lancé un référendum sur le sujet. L’initiative « pour une eau potable propre et une alimentation saine » se concentre, elle, sur les exploitations agricoles, en proposant de supprimer les subventions aux agriculteurs qui utilisent pesticides et antibiotiques sur leurs cultures, à titre prophylactique. Si l’un ou l’autre de ces textes étaient votés, la Suisse ferait partie des pays pionniers prêts à vivre sans produits phytosanitaires artificiels. Dans le monde, le seul pays sur le point de remporter ce pari est le Bhoutan, dont la production agricole devrait être totalement bio d’ici à 2020.