« Battlefield V » met en avant une partisane britannique armée, ce qui lui a valu des critiques acerbes des cercles antiféministes. / Electronic Arts

Fabrice Virgili est directeur de recherche au CNRS et historien spécialiste de la question du genre en temps de guerre. Il est notamment coauteur d’une notice sur La Féminisation des armées européennes, et du livre Sexes, genre et guerres (France 1914-1945), publié en 2010 aux éditions Payot.

A l’occasion de la mise en ligne de la bande-annonce mercredi 22 mai du jeu vidéo Battlefield V, qui a suscité l’émoi dans les cercles masculinistes en mettant en scène pour la première fois une soldate britannique, il analyse pour Le Monde le degré de réalisme des productions vidéoludiques et resitue la place des femmes durant la guerre de 1939-1945.

BATTLEFIELD 5 - Official Trailer (2018)
Durée : 03:17

En tant qu’historien, que vous évoque la bande-annonce de Battlefield V ?

Dans la forme du combat, l’intention du réalisme n’est pas évidente, au contraire des premiers Battlefield et Call of Duty, qui mettaient en scène la campagne de Normandie. Ici, tout est accéléré. Les phases d’ennui et d’attente sont toujours plus longues à la guerre que dans les films ou les jeux vidéo. A la guerre, le temps de l’affrontement est très bref, en réalité.

Des combattantes comme on en voit dans la bande-annonce, est-ce réaliste ?

Tout dépend des armées et des contextes. Des femmes en uniforme, vous en avez dans l’armée de la France libre. Elles sont près du front, au front même, font de la logistique ou du soutien, mais ne tirent pas de coup de feu. Dans l’armée américaine, également. Pour trouver des combattantes, c’est-à-dire des femmes qui tirent des coups de feu, il faut évidemment aller regarder du côté de l’Armée rouge, avec le fameux exemple des tireuses d’élite et des aviatrices. Il y en a également dans les groupes de résistance, en Italie, en Yougoslavie, en Grèce, et même en France, bien qu’un peu moins.

Des femmes combattantes qui ont même été décorées pour avoir tué des dizaines d’ennemis, il y en a eu en URSS ; des partisanes grecques ou yougoslaves ont porté des fusils, aussi. Mais elles n’abattaient pas quinze hommes à la suite pour finir le seizième à la massue comme dans ces jeux vidéo, et les hommes non plus d’ailleurs ! Quant à une auxiliaire de l’armée britannique qui ait pris les armes, il n’y en a pas eu dans l’armée régulière, mais on est sur de tels effectifs en temps de guerre, tant que l’on parle d’histoires exceptionnelles, qui sont légion en temps de guerre, pourquoi pas ?

Certains arguent que le rôle des femmes durant la seconde guerre mondiale a été mineur. Qu’en est-il ?

Cela dépend de quel rôle on parle. Leur rôle a été essentiel dans le soin et la logistique, et fondamental dans l’économie de guerre et le soutien au moral en temps de guerre. Néanmoins, il n’y a pas eu de généraux femmes, et elles sont absentes des prises de décisions militaires, c’est vrai. Mais c’est la moitié de l’humanité, elles ont été très nombreuses dans les victimes civiles, et sont une cible : quand on décide de raser des villes qui ne sont plus peuplées que de femmes et d’enfants, c’est bien elles qu’on vise. Quand elles sont violées – pour terroriser les populations et prouver que leurs maris ne peuvent les protéger – c’est bien parce qu’elles sont femmes qu’on les cible. Quand on les tond à la Libération, partout en Europe, pour suspicion d’entente avec l’ennemi, ce qui n’est pas le cas des hommes, c’est encore parce qu’elles sont des femmes.

Certains détracteurs de la bande-annonce convoquent l’argument du réalisme, mais quel réalisme y a-t-il dans un jeu vidéo où, comme dans Battlefield 1, des soldats à cheval peuvent attaquer des chars d’assauts ?

A partir du moment où on est dans un processus d’héroïsation, on va évidemment mettre en valeur le soldat, et le cheval est une figure romantique classique, celle de la chevalerie. L’objet n’est pas de décrire la guerre telle qu’elle s’est déroulée, mais de mettre en avant la bravoure des soldats, et à partir de là on peut tout imaginer, comme des chevaux contre des tanks. Après tout, même dans le nouveau Star Wars, on met des trains. Alors que c’est absurde, mais il y a toute une imagerie qui l’accompagne, cela fait toujours rêver, un train.

Certains jugent irréaliste la présence de soldates dans un jeu sur la seconde guerre mondiale. Les zombies dans un jeu sur la seconde guerre mondiale, comme on en trouve régulièrement dans la série de jeux de tir historiques Call of Duty, est-ce réaliste ?

Alors, non, il n’y a pas de zombies qui combattent, désolé. Mais cela pose la question du surnaturel, et la question que se posent les soldats sur ce qui leur arrivera s’ils meurent au front. Que deviendrait un soldat mort dont on ne pourrait récupérer le corps et honorer la mémoire ? Il y a un court-métrage de 1990 d’Akira Kurozawa, Le Tunnel (dans Rêves), où un soldat mort au combat revient hanter la mémoire de son compagnon d’armes, du survivant. En tant que combattant, le fantôme ne vaut pas grand-chose, mais comme inquiétude, stress, affaiblissement du moral du soldat, bien plus…