En 1967 naît le collectif l’ARC (Atelier de recherche cinématographique), qui documente les mouvements étudiants. En mai-juin 1968, ses membres filment les événements, images dont Michel Andrieu et Jacques Kebadian tirent un film, Le Droit à la parole. De cette œuvre, le critique de cinéma et cinéaste Jean-Louis Comolli a tiré, avec l’un des réalisateurs, une série de très beaux photogrammes, autour desquels il brode un texte brillant et poétique.

L’opuscule qui en ressort est une évocation de l’attaque vaporeuse du temps, du devenir poudreux, spectral, de l’Histoire et des images. Toute la mythologie de 68 est figée dans des poses où, à la valeur iconique (barricades, lancer de pavé…), se mêle une dimension fantomatique. Le geste de la révolte revient suspendu dans le temps, comme quelque chose dont la liberté continue de nous interroger, y compris sur le sens à lui attribuer.

Ce qu’en ces mots, et avec talent, dit Comolli : « A cinquante ans de distance, l’usure du temps a sans doute dégradé l’homogénéité photographique de la pellicule, mais l’effet premier, l’effet majeur, de cette dégradation est de libérer les prises de vue de la nécessité ordinaire de l’analogie photographique qui commande à la ressemblance, à l’identité, au “réalisme”. Ces jeunes gens, ces étudiants, ces ouvriers, sont devenus des emblèmes, dans l’histoire, mais hors du temps. Les photogrammes gagnent en légèreté, ils sont aériens, flottants, ils nous invitent à un autre regard sur les traces de ces manifestations, de ces batailles, de ces couloirs, de ces foules… Un autre regard ? Celui qui est sensible à l’autre dimension de toute image – celle qui n’est plus narrative, qui n’est plus anecdotique, qui n’est plus identificatoire (qui n’est plus policière). Nous voulons dire : sa beauté. »

YELLOW NOW

Les Fantômes de Mai 68, de Jacques Kebadian et Jean-Louis Comolli, Yellow Now, 80 pages, 12,50 €.