Lewis Hamilton, le 23 mai lors de la conférence de presse du Grand Prix de Monaco. / BENOIT TESSIER / REUTERS

Chacune de ses apparitions à Monaco, où se court le Grand Prix du 27 mai, provoque les cris d’une foule en quête de selfies. A 33 ans, Lewis Hamilton est le seul pilote parmi les vingt engagés dans le championnat du monde de Formule 1 à provoquer une telle réaction. Là où l’autre quadruple champion du monde, l’Allemand Sebastian Vettel, apparaît d’une pleine sobriété à la conférence de presse d’avant-Grand Prix, le Britannique, à ses côtés, promène une véritable bijouterie : énorme montre au poignet gauche, bracelet épais à droite, gros colliers de strass et d’argent au cou, deux lourdes bagues aux doigts, un diamant dans le nez sans oublier les tatouages saillants… Lunettes noires et casquette rose, il enfourche sa grosse cylindrée pour parcourir les dix mètres qui le séparent de notre lieu de rendez-vous.

Lewis Hamilton a tous les attributs de la star – scandales et secrets inclus. Pourtant, le roi de la F1 règne sur un sport en crise : audience télévisée en baisse, public découragé par un sport trop prévisible. Lors d’un entretien accordé conjointement au Monde et au Sunday Times, le quadruple champion du monde, actuellement en tête du championnat pour le compte de l’écurie Mercedes, dresse un diagnostic lucide et critique de son sport fermé et parle de sa vie d’après, alors qu’il finalise son nouveau contrat avec Mercedes pour, vraisemblablement, les trois prochaines années. La presse spécialisée évoque une somme de 40 millions de livres annuels [un peu plus de 45 millions d’euros], proposée par la firme allemande.

Vous habitez Monaco. Vous avez l’habitude de conduire sur ses routes, de prendre le tunnel, mais ce week-end, vous passerez les mêmes virages à 200 km/h. Quelles sensations cela procure ?

Vous ne pouvez pas imaginer ! J’ai essayé pendant des années de l’expliquer mais c’est impossible. Même moi, quand je conduisais des Formule 3 ici, j’essayais de l’imaginer. Et c’est bien au-delà de ce que je pensais…

Cela fait peur ?

Moi, je n’ai pas peur. Vous, cela vous ferait peur. Pour moi, c’est excitant. C’est comme sur des montagnes russes : des gens ont peur, d’autres adorent. Mais là, vous êtes aux commandes de la machine. Courir est mentalement épuisant. Il n’y a jamais une seconde pendant laquelle on peut se relaxer, pas même un dixième de seconde.

C’est pour cela que la F1 ne sera jamais aussi populaire que le football ou le basket, qui sont deux sports que tout le monde peut expérimenter. Si on regarde la NFL [championnat de football américain] ou Neymar [l’attaquant du PSG] qui joue au football, on peut acheter un ballon, tirer un millier de fois et peut-être espérer avoir un peu la même sensation. Avec la F1, on ne peut pas prendre sa voiture et tenter de retrouver les mêmes sensations.

Un reproche fait à la F1 est qu’elle est dominée par le trio d’écuries Mercedes-Ferrari-Red Bull. Ce qui peut donner à penser que la voiture fait le vainqueur…

« Les gens regardent ça en buvant un thé et se disent que c’est facile. Mais je perds trois à quatre kilos par course. »

Les gens ne comprennent pas. Conduire une F1 exige une condition physique et mentale extrême, pour tenir avec les nuits sans sommeil, l’inquiétude des courses à venir, le stress…

C’est un défi permanent pour moi : je dois tout le temps expliquer qu’il est nécessaire de s’entraîner physiquement pour être pilote… Je suis végan. Je perds trois à quatre kilos par course. Et les gens continuent d’être surpris. Ils me disent que je suis assis et que je ne fais rien quand je pilote. Mais si vous saviez comment ces voitures vous ballottent d’un côté à l’autre… Et les gens regardent ça en buvant un thé et se disent que c’est facile.

Après, bien sûr, il y a toute l’équipe derrière moi, qui joue un rôle, à 1 000 % ! Comme dans tous les sports mécaniques, il y aura toujours un groupe d’ingénieurs meilleur qu’un autre… La F1 est dirigée par plein de gens de pouvoir, l’argent domine. Certaines équipes ont plein d’argent et d’autres peu, et malheureusement cela n’est pas près de changer.

Mercedes' British driver Lewis Hamilton drives during the second practice session at the Monaco street circuit on May 24, 2018 in Monaco, ahead of the Monaco Formula 1 Grand Prix. / AFP / Boris HORVAT / BORIS HORVAT / AFP

Afin de se rapprocher de son public, la F1 veut multiplier les circuits urbains comme Monaco. Miami pourrait ainsi entrer au calendrier dès octobre 2019…

C’est génial ! C’est pour ça que la Formule E est géniale [les courses de monoplaces électriques se courent souvent en ville]. Cela oblige les gens à ouvrir leurs fenêtres, à voir ce qui se passe. A part ça, d’un point de vue technologique, la FE est nulle par rapport à la F1. Les voitures électriques sont sûrement l’avenir des constructeurs et du monde. Mais je ne sais pas combien de temps il faudra avant que toutes les voitures deviennent électriques. Ce ne sera sans doute pas de mon vivant.

Revenons à un futur proche. Votre nouveau contrat avec Mercedes pour 2019-2020 n’est pas signé. Est-ce vraiment une simple formalité ?

C’est une formalité.

Si vous l’emportez cette année, ce sera votre cinquième titre mondial…

C’est inimaginable ! C’est le niveau de Fangio [quintuple champion en 1951, 1954-1957]… C’est incroyable que je cogne à la porte de ce record !

Souhaitez-vous, comme Roger Federer, continuer à enchaîner les records ?

Je ne crois pas. Je suis loin de prendre ma retraite mais j’ai envie de faire d’autres choses, dans lesquelles je suis bon. [La F1], c’est tellement dur, tellement de travail. Ce n’est pas que du plaisir, c’est tant d’engagement, de temps loin de la famille. Il faut faire tellement de compromis pour rester à ce niveau week-end après week-end. C’est vraiment dur. Mais j’adore ça et je suis dévoué à cet objectif.

« Si on est vingt pilotes et que je suis le seul d’une ethnicité différente, j’essaie d’utiliser ça de façon positive ».

Votre père se dit impressionné par la façon dont vous négociez vos affaires.

Je suis un homme d’affaires. Je négocie mes propres contrats. Je refuse d’être perturbé par la perspective de la fin de ma carrière. Souvent, une fin de carrière est vécue comme quelque chose de négatif, on gagne moins d’argent. Moi j’apprends beaucoup et j’ai plein de projets. Pour certains, je ne peux pas en parler. Pour d’autres… je réalise par exemple une collection de vêtements. J’y passe beaucoup de temps. Même pendant les week-ends de course, le soir, je dessine sur mon carnet pour ma collection. Je vais avoir mon propre défilé en septembre, et c’est très excitant.

Quand j’étais à l’école, j’ai toujours pensé que j’étais quelqu’un de créatif mais j’étais limité, parce que je passais mon temps sur les circuits. A l’adolescence, j’ai dessiné partout sur les murs de ma chambre. J’ai aussi fait de la musique [il a travaillé avec les chanteurs Drake ou Frank Ocean]. La vie d’après [la F1] est excitante.

Deux de vos tatouages sont de nature religieuse. Est-ce important pour vous ?

Je suis né catholique. La foi est une partie très importante de ma personnalité. Mais je ne veux pas trop parler de ma vie privée.

Appréciez-vous d’être une star dans votre sport, d’être sollicité dans la rue ?

Gamin, je rêvais d’être pilote, pas de ces à-côtés là. Quand vous êtes gamin, vous voulez juste taper le ballon comme Neymar… Je ne voyais pas la vie qui entourait tout ça, je pensais seulement à conduire. Je n’avais jamais pensé que je me relaxerais sur un yacht, que je rencontrerais la reine, que j’aurais ces expériences incroyables. C’est génial ces gens qui crient votre nom, mais c’est aussi assez intimidant.

Vous êtes également le porte-drapeau de la F1, grâce à vos qualités de pilote mais aussi parce que vous êtes le seul Noir…

Heureusement, je crois que je suis assez solide pour accepter ce rôle de porte-drapeau. Si on est vingt pilotes et que je suis le seul d’une ethnicité différente, j’essaie d’utiliser ça de façon positive.

Pourquoi n’y a-t-il pas non plus de pilote indien ou chinois par exemple ?

« Quand les jeunes pilotes échouent, ils n’ont aucune roue de secours. »

Il y a tellement d’aspects qui doivent être améliorés dans ce sport. Je me rappelle d’une remise des prix de la FIA [Fédération internationale de l’automobile]. Jean [Todt, président de la FIA] m’avait présenté à quelqu’un qui était, je crois, la nouvelle personne chargée de la sécurité dans le kart… Je lui ai répondu que le problème n’était pas la sécurité dans le kart mais la diversité en F1. Le souci est qu’il n’y a que des jeunes riches qui arrivent dans ce sport, pas de gamins qui viennent des classes défavorisées. Résultat, les meilleurs talents n’émergent pas.

Mercedes driver Lewis Hamilton of Britain leaves pits at the end of the second free practice at the Monaco racetrack, in Monaco, Thursday, May 24, 2018. The Formula one race will be held on Sunday. (AP Photo/Luca Bruno) / Luca Bruno / AP

Le suivi de l’école est aussi un problème. Quand j’étais jeune, j’ai manqué beaucoup de cours, et maintenant, c’est pire. Il y a des jeunes qui n’étudient qu’à la maison, voire pas du tout. Quand ils échouent – 90 % d’entre eux n’arrivent pas en F1, et tous les pilotes de F1 ne gagnent pas beaucoup d’argent –, ils n’ont aucune roue de secours. La FIA devrait imposer des règles.

Quand les gens me disent : est-ce qu’untel, jeune pilote talentueux, est votre successeur ? Je dis non. Car ce jeune vient d’un milieu aisé, il n’est pas passé par les difficultés que moi et ma famille avons connues. Regardez le football. Vous croyez que Neymar était riche ?

Votre nom a été cité dans les Paradise Papers, en raison d’un montage destiné à ne pas payer de TVA sur votre avion privé. Vous habitez en outre à Monaco, un paradis fiscal. C’est légal, mais est-ce moral ?

J’ai toujours voulu vivre à Monaco. Quand j’avais 5 ans, je regardais à la télévision les voitures qui sortaient du tunnel. Je suis venu ici la première fois à 13 ans. J’ai vu l’endroit et je me suis dit : c’est là que je veux vivre. C’est vrai, cela procure des avantages. Mais je paie mes impôts partout où je dois les payer. Jeune, on me guidait ; maintenant, je fais mes propres choix. Je décide comment j’utilise mon argent, je verse à des associations… J’ai toujours voulu habiter ici. Quand je me réveille et que je vois la vue, j’adore !