Edouard Philippe, à l’Hôtel Matignon, à Paris, le vendredi 25 mai. / JACQUES DEMARTHON / AFP

Editorial du « Monde ». Depuis le 14 mars, date du lancement de la réforme de la SNCF, on a beaucoup débattu des grands enjeux : avenir du cheminot, préservation de l’aménagement du territoire, choix environnementaux ou encore défense du service public. Mais après onze séquences de grève de deux jours, plus ou moins suivies, plusieurs millions de clients bloqués sur les quais et un coût substantiel pour l’entreprise, on en aurait presque fini par oublier que c’est l’Etat, et donc le contribuable, qui sera finalement mis à contribution.

Pour remettre la SNCF sur ses rails, le gouvernement a annoncé, vendredi 25 mai, que l’Etat s’engageait à reprendre la dette de l’entreprise à hauteur de 35 milliards d’euros, soit l’équivalent de 1 228 euros par ménage. A cela s’ajoutent des engagements sur les investissements, qui seront portés à 3,8 milliards d’euros par an.

Il s’agit d’un effort considérable, qui constitue une étape essentielle de la réforme du rail. En l’espace de trente ans, le réseau ferré a accumulé une dette de 46,6 milliards. Avec la régularité d’un métronome, celle-ci s’alourdit de 3 milliards par an, tandis que les intérêts ont représenté en 2017 une charge annuelle de 1,2 milliard. Ce fardeau ôte à l’entreprise toute marge de manœuvre, l’empêchant d’investir pour moderniser ses infrastructures et maintenir la qualité de son service aux usagers.

La lourde responsabilité de l’Etat

Il faut mettre au crédit d’Emmanuel Macron d’avoir affronté le problème. François Hollande a fait mine de l’ignorer. Auparavant, Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy l’ont aggravé en multipliant les lignes à grande vitesse au détriment de l’entretien du réseau et des trains du quotidien. L’Etat porte donc une lourde responsabilité dans la situation actuelle. Il est logique qu’il en assume les conséquences en participant à l’apurement des comptes.

Néanmoins, il ne s’agit pas d’un chèque en blanc. L’Etat a opté pour une profonde refonte du système ferroviaire, en imposant des contreparties afin que la dette ne se reforme pas au cours des prochaines années. Pour cela, la SNCF est censée améliorer sa productivité en modifiant son organisation du travail et en renonçant au statut de ses cheminots.

Ce donnant-donnant n’a rien d’inédit. L’Etat allemand avait procédé de la même façon en 1994 en reprenant un montant de dette équivalent. Mais, concernant la SNCF, l’équation repose sur une très grosse inconnue. L’entreprise aura-t-elle la capacité de produire un effort qu’elle n’a jamais été capable de fournir jusqu’à présent ? Aujourd’hui, l’écart de compétitivité face à ses principaux concurrents européens est estimé à 30 %. Le défi n’est pas insurmontable, mais il reste inédit.

Pour l’Etat, le défi est tout aussi ambitieux. Même si le premier ministre s’est engagé à ne pas créer un « impôt SNCF » pour compenser la reprise de la dette, il s’agira bien d’une charge supplémentaire pour le contribuable, qu’il conviendra tôt ou tard de financer par des choix budgétaires, qui se feront au détriment d’autres dépenses.

Dans ce contexte, les syndicats se retrouvent face à un dilemme : continuer la grève pourrait accentuer l’incompréhension croissante entre les Français et leurs cheminots. Alors que le débat parlementaire entre dans sa dernière ligne droite, il pourrait être risqué pour les organisations dites « réformistes » (UNSA et CFDT) de prolonger un conflit qui semble de moins en moins populaire aux yeux de l’opinion.