Il est certainement celui qui connaît le mieux les rues enchevêtrées de Monaco. Il les a parcourues en poussette, en patinette, en vélo, en kart même… Mais en Formule 1, c’est une première ! A 20 ans, le natif du Rocher Charles Leclerc court son premier Grand Prix à domicile dimanche 27 mai.

« C’est incroyable, déclarait-il en débarquant avec son écurie, Alfa Romeo Team, le 21 mai. Ce sera bien d’avoir mes amis et ma famille ici pour m’encourager et j’ai hâte de partager ce moment particulier avec le peuple monégasque. Conduire sur un circuit urbain est quelque chose que j’ai toujours adoré. (…) Ce sera un week-end inoubliable. » Cette course, il en rêve depuis sa petite enfance.

Tout s’est décidé un jour de ses 4 ans, lorsque son père, l’industriel monégasque Hervé Leclerc, l’emmène sur le circuit de kart d’un ami, Pierre Bianchi, à Brignoles dans le Var. Leur fils, Jules, est un mordu de courses. En rentrant « j’ai dit à mon père que mon futur était tout tracé : je serais pilote de F1 », a coutume de raconter Charles Leclerc.

Point presse, le 23 mai à Monaco, en marge du Grand Prix. De gauche à droite : Charles Leclerc (Alfa Romeo Sauber), Sebastian Vettel (Ferrari), Lewis Hamilton (Mercedes), Romain Grosjean (Haas). / CAP

Pour Charles Leclerc, Jules Bianchi, de huit ans son aîné, devient un modèle. Il suit sa progression, du kart à la Formule 1 que Jules intègre en 2012, avant de passer chez Marussia, en 2013 et de marquer ses 2 premiers points en 2014, à Monaco justement. Ses derniers également : victime d’un accident à Suzuka le 5 octobre 2014, qui le plonge dans le coma, Jules Bianchi meurt le 17 juillet 2015.

« Son expérience était énorme. Il était mon idole, un pilote et un homme qui m’inspirait », expliquait le Monégasque en janvier à Auto Hebdo. Il va aussi lui permettre de continuer l’aventure lorsque Hervé Leclerc, lui-même pilote amateur, n’a plus les moyens de financer la carrière de son fils – l e kart, c’est un budget de 250 000 euros. Jules Bianchi lui fait alors rencontrer son manager, Nicolas Todt, fils de Jean Todt, le président de la Fédération internationale de l’automobile (FIA).

« Papa, Je t’aime… Merci pour tout »

Détecteur de jeunes talents, Nicolas Todt prend le gamin de 13 ans sous son aile, « à moitié pour son talent, à moitié pour aider ». Il est séduit par l’élégance de l’adolescent, même s’il est encore très jeune. Nicolas Todt ne le regrettera pas.

Après deux titres de vice-champion en kart, Charles Leclerc passe à la Formule Renault puis à la Ferrari Académie, et enchaîne les titres. Champion du monde en GP3 en 2016, il est en tête du championnat de Formule 2 en 2017 lorsque son père, son premier fan, meurt le 20 juin. Charles l’annonce lui-même sur Twitter : « Papa, Je t’aime… Merci pour tout. Tu vas nous manquer. Jules [Bianchi] sera super content de te retrouver. 1963-2017. » Il s’aligne tout de même, quelques jours plus tard, sur le circuit de Bakou, en Azerbaïdjan, où il décroche la pole position et remporte la première course du week-end en F2. « La plus grande réussite de ma carrière », dit-il.

L’industriel monégasque Hervé Leclerc, père et premier supporter de son fils Charles, meurt le 20 juin 2017. / COURTASY

« Grâce ou à cause de la vie, Charles a acquis une grande maturité. Là où d’autres s’effondreraient, Charles se sublime dans la peine. Lorsqu’il abaisse sa visière, il a une force de concentration qui m’a bluffé », témoigne Nicolas Todt.

C’est encore à Bakou, mais cette fois comme 4e étape de son premier championnat de F1, qu’il se révèle au public le 29 avril. Sur le spectaculaire tracé urbain du Grand Prix d’Azerbaïdjan, alors que les Red Bull de Daniel Ricciardo et de Max Verstappen se neutralisent ; alors que Kimi Räikkönen expulse la Force India d’Esteban Ocon et que Romain Grosjean s’exclut tout seul, le « rookie » monégasque termine 6e.

Depuis ce résultat inespéré, l’excitation de « courir à domicile » va crescendo. « Charles a toujours été ambitieux, rappelle Nicolas Todt, il doit désormais apprendre qu’en F1, ce n’est pas forcément le meilleur qui l’emporte », puisque la voiture joue un rôle important. Et Sauber n’est pas dans le Top Team – Mercedes-Ferrari-Red Bull. Ses yeux clairs et sa coupe sage ne masquent pas son agitation, le 23 mai dans l’hospitality Sauber en bord du quai monégasque. Son frère cadet, Arthur, champion de F4, est de la partie. Trois jours avant le Grand Prix, il n’hésite pas à se prêter aux « tours de piste » promotionnels, à faire la communication de ses partenaires, et à participer au dîner avec les journalistes.

Première étape : « Les Q3 ! »

Derrière son allure joviale, Fred Vasseur, patron de l’écurie Alfa Romeo Sauber, semble un brin inquiet. Il connaît bien son pilote, « capable de s’énerver après une séance d’essais qui ne s’est pas bien passée, mais capable aussi de repartir dix minutes après en ayant tout oublié ». Logiquement, Charles Leclerc devrait viser entre la 12e et la 16e place, dimanche 27 mai. Mais sur son Rocher, poussé par toute une population (37 500 habitants et autant d’affiches placardées à son effigie), il se voit finir dans les points – comme Jules Bianchi. Première étape : « Les Q3 ! », c’est-à-dire atteindre samedi le 3e niveau de qualification synonyme d’une place sur les premières lignes de la grille, ce qui, avec ou sans Grid Girls, est primordial à Monaco où il est quasiment impossible de doubler.

Le départ du Grand Prix de dimanche se donne devant le quartier des Contamines. « J’habite les Contamines ! », lance Charles Leclerc, qui reconnaît une émotion particulière mais réfute toute pression supplémentaire à courir dans la ville où il a grandi à côté de son père. Dimanche à 13 h 45, l’hymne monégasque traditionnel sera interprété par les Gardes de la Principauté. « J’en connais deux ou trois », s’amuse Charles Leclerc. Ou quand l’expression « courir à domicile » prend tout son sens.

La Sauber #16 de Charles Leclerc, s’engage le long du port monégasque. / BORIS HORVAT / AFP

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Dates

1997. Né le 16 octobre à Monaco.

2008. Plus jeune vainqueur de la Monaco Kart Cup.

2011. Champion du monde de kart.

2016. Champion du monde en GP3 avec l’équipe ART, dont Fred Vasseur est actionnaire.

2017. Champion du monde en Formule 2.

2018. Pilote Alfa Romeo Sauber.