La Française Caroline Garcia lors de la finale du tournoi de Rome face à la Roumaine Simona Halep, le 18 mai. / FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Pour gagner Roland-Garros, un patronyme hispanique et une maîtrise de la langue de Cervantes sont souvent indiqués. Caroline Garcia remplit déjà la première condition et planche sur la seconde. « Je comprends, mais il me manque du vocabulaire, j’essaye de m’y mettre. C’est mon nouveau challenge », explique la Française de 24 ans rencontrée, début mai, à Torrevieja, à 50 km d’Alicante. La numéro 7 mondiale y prépare alors sa saison sur terre battue (comme la précédente déjà) dans un club niché sur les hauteurs de la station balnéaire espagnole, au milieu des lotissements.

Les infrastructures donnent dans la modestie : une dizaine de courts, un sympathique club-house avec son restaurant et ses habitués avec lesquels Caroline Garcia échange sans se forcer quelques mots en espagnol. « Les courts sont très bien préparés, il fait beau, et on a été très bien accueillis », vante la joueuse. L’endroit a été déniché par son père et entraîneur, Louis-Paul Garcia. Il est aussi à l’image de la PME Garcia : familial, discret et un peu dans son coin pour tout dire.

En France, le tennis n’échappe pas au centralisme jacobin. Tout part des bureaux de la Fédération française de tennis (FFT) et redescend ensuite vers les différents pôles régionaux. Pour Louis-Paul Garcia, ce modèle incarne un peu l’ancien monde. Lui vante la souplesse d’une organisation indépendante, comme celle des Nadal oncle et neveu, qui a plutôt fait ses preuves. « Si vous regardez bien, de moins en moins de joueurs et joueuses sortent du giron fédéral, dit-il. Les nouveaux projets sont souvent familiaux. Je considère que le meilleur binôme possible, c’est une joueuse avec un membre de sa famille. »

« Je considère que le meilleur binôme possible, c’est une joueuse avec un membre de sa famille »

Aujourd’hui, la vérité des courts lui donne raison. Caroline Garcia vient d’enchaîner des demi-finales à Stuttgart, Madrid, et un quart de finale à Rome. Cette année, à Roland-Garros (du 27 mai au 10 juin), la quart de finaliste de l’édition 2017 portera sur ses épaules solides les espoirs d’un tennis français patraque chez les hommes et à peine plus fringant du côté féminin. « Par rapport aux résultats de Caroline, c’est vrai qu’elle est la meilleure chance française mais on n’en tient pas compte, assure son père. On suit d’abord notre chemin et on voit où il nous mène. »

« Chemin », soit le mantra de Louis-Paul Garcia pour raconter la carrière de Caroline. Tout fait partie du chemin : les heures de tennis supplémentaires à Lyon avec sa fille les week-ends ou après l’école, les tournois en Europe dans des hôtels premier prix, un aller-retour en Allemagne pour une défaite au premier tour… La PME Garcia tourne alors avec les économies de l’agence immobilière des parents et un modeste mécénat. Il faut savoir compter et économiser.

De cette époque, Caroline Garcia – plus de huit millions de dollars déjà gagnés en carrière – a gardé l’habitude de scruter « les billets d’avion les moins chers sur Internet », et s’étonne qu’on puisse s’en étonner. L’argent n’a jamais été un moteur ni un problème. Au moment de la crise immobilière, elle se souvient des difficultés de ses parents « sans jamais qu’ils me le fassent ressentir ». La jeune fille est protégée, choyée. Si elle avait eu une vocation de chanteuse, papa aurait aussi été présent « même s’il ne connaît pas grand-chose à la musique ».

Quand la FFT prend le train en marche

Au départ, elle a plutôt hésité entre la danse et le basket avant d’opter pour le tennis, ce qui plaisait bien à son père, honnête joueur de club classé 15/5. Plus en retrait, sa mère, Mary-Lene, n’avait rien contre l’idée et, depuis sa retraite, accompagne sa fille sur presque tous les tournois, son petit chien souvent sur les genoux.

A la différence d’un Richard Williams (père de Serena et Venus), Louis-Paul Garcia n’a pas imaginé un plan menant du berceau à la première place du classement WTA. Lui préfère évoquer « le plaisir d’accompagner » sa fille unique dans son projet. L’intéressée confirme : « Mes parents m’ont eue après plusieurs années de mariage et des difficultés à avoir un enfant, ils ont toujours fait un effort pour me mettre au centre de leur vie. Ils ne m’ont jamais forcée à faire du tennis. »

Dans le « chemin » selon les Garcia, les résultats et le classement ne sont pas la priorité au départ. L’adolescente arpente les tournois à l’étranger (pour mieux se frotter « au jeu international », dixit son père) au détriment de son classement français. Elle frappe déjà fort, va vers l’avant et perd souvent « contre des filles qui faisaient des “ronds”, et cherchaient juste à me renvoyer la balle ». Mais hors de question de dévier de ce jeu agressif : « Au fur et à mesure, je suis passée devant ces filles », savoure cette attaquante naturelle.

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En marge du système fédéral, Caroline Garcia apparaît pour la première fois dans les radars médiatiques en janvier 2011. A 17 ans, elle remporte un premier match en Grand Chelem lors de l’Open d’Australie. La FFT vient enfin aux nouvelles. « A un moment donné, il faut prendre le train même s’il est bien lancé », ironise Louis-Paul Garcia. Malgré tout, il accepte la mise à disposition par la Fédération de Frédéric Fontang comme entraîneur. « On a dit pourquoi pas, plus par curiosité que par besoin. On s’est bien entendus avec Frédéric mais l’expérience a duré moins d’un an. On avait déjà nos habitudes de fonctionnement avec Caroline. » Pendant la courte collaboration avec Fontang, la Lyonnaise passe tout près d’un exploit retentissant à Roland-Garros. Au deuxième tour, elle mène 6-3, 4-1 face à Maria Sharapova sur le Central avant de coincer et perdre onze jeux de rang. Andy Murray écrit alors sur son compte Twitter : « Sharapova est en train de jouer contre la future numéro un mondiale. »

Ce presque exploit et la prophétie de l’Ecossais vont longtemps coller à la Française. Sa progression est régulière à défaut d’être fulgurante. Garcia se cherche encore. Elle dispose de nombreuses armes dans sa raquette mais ne sait pas toujours les choisir. Un problème de riche. « On dit souvent que, lorsqu’on a un panel de jeu plus complet, cela prend plus de temps pour arriver à maturité », avance-t-elle. L’explosion attendue arrive à l’automne 2018. L’Asie l’inspire, et Caroline Garcia remporte deux tournois majeurs coup sur coup à Wuhan et Pékin avec des victoires de référence au passage contre les Halep, Kvitova et Svitolina, trois membres du top 10. Un club restreint que Garcia ne quitte plus depuis.

« LOL » et polémique autour de la Fed Cup

Ces résultats valident aussi une décision mal perçue au départ : celle de ne pas disputer la Fed Cup. « Caroline s’était consacrée à cette compétition pendant quatre ans mais elle avait des problèmes de dos et voulait mettre toute son énergie à améliorer son classement », resitue Louis-Paul Garcia. Malgré tout, la joueuse est convoquée pour un match de barrage face à l’Espagne, en avril 2017. Blessée au dos, elle décline la sélection. Ses camarades en équipe de France publient alors en même temps sur les réseaux sociaux un message court mais qui en dit long : « LOL ». Caroline Garcia rit jaune (« ça faisait un peu cour d’école ») et vit mal d’être mise à l’index, elle qui a porté la France jusqu’en finale de la Fed Cup, en 2016.

Depuis, ses relations sont plutôt fraîches avec Kristina Mladenovic, la bonne copine des débuts et l’ancienne partenaire de double. Mladenovic, parfait produit de la FFT, choyée par son actuel président, Bernard Giudicelli, et dont les difficultés actuelles contrastent avec la réussite de Garcia. Aujourd’hui, la tête de série numéro 7 de ce Roland-Garros 2018 dit ne pas ressentir le besoin « d’avoir spécialement des amies sur le circuit » et évoque des relations cordiales, sans crêpages de chignon, mais plutôt du type « bonjour, au revoir » avec ses anciennes coéquipières de Fed Cup.

Elle n’en dira pas davantage. « L’expérience a été douloureuse pour Caroline, mais elle a appris de la vie à cette occasion, explique son père. Cela fait partie de l’apprentissage, du chemin… » Toujours. Et si, au bout du chemin, la place au sommet du tennis féminin attend Caroline, Louis-Paul Garcia sait déjà qui aura droit à son premier message : « Andy Murray. Pour le clin d’œil et lui dire qu’il n’avait pas tort. Mais on n’en est pas encore là… »