Michel Platini, en février 2014. / Lionel Cironneau / AP

La révélation par Le Monde, vendredi 25 mai, de la mise hors de cause de Michel Platini par la justice suisse dans l’affaire du versement des 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros), a entraîné une série de réactions. « Dans le cadre de son statut de personne amenée à témoigner, si l’on trouve des éléments, le cas Platini n’est pas définitivement terminé », a d’abord déclaré, samedi 26 mai, le porte-parole du ministère public de la Confédération helvétique, André Marty.

Il était désireux de nuancer la portée du courrier, pourtant très clair, du procureur suisse Cédric Remund à Me Vincent Solari, l’avocat de Michel Platini, dans lequel on pouvait lire :

  • « Nous pouvons également vous confirmer que votre mandant ne sera pas incriminé dans le cadre de la présente procédure. »
  • La procédure pénale « n’[était] pas en l’état menée » contre M. Platini, auditionné en septembre 2015 comme « personne appelée à donner des renseignements », l’équivalent du statut de témoin assisté en Suisse. Ladite procédure visant Joseph Blatter, l’ancien patron de la FIFA.

La déclaration de M. Marty, enclin à jouer sur les mots, a provoqué la colère de Vincent Solari, lequel confie au Monde :

« Le courrier du procureur va au-délà de la procédure en l’état puisqu’il y est écrit très clairement qu’il n’y aura pas de charge ni de poursuites à l’avenir. Cette lettre est très précise. Le parquet nous a donné son accord pour qu’on l’exploite comme on le souhaitait. C’est terminé, M. Platini est mis hors de cause. C’est écrit dans le texte et le procureur me l’a confirmé par oral, il n’a pas souhaité créer de situation ambiguë. »

L’avocat va contacter le procureur lundi afin de demander un « rectificatif s’il y a lieu ». « Il y a eu une volonté de nuire, c’est un sous-entendu malsain, affirme-t-il. Techniquement, M. Blatter est toujours poursuivi [notamment pour un contrat controversé signé en 2005 avec l’Union caribéenne de football] et le parquet ne peut pas clore le dossier en cours de route. Mais concernant M. Platini, tout a été mis sur la table depuis près de trois ans. Oui, il peut être entendu à nouveau comme témoin, mais il n’y a pas d’affaire Platini. La FIFA est-elle intervenue auprès de M. Marty, qui a agi de sa propre initiative, pour brouille les pistes ? Ce n’est pas exclu. »

La FIFA refuse de lever la suspension

De son côté, la Fédération internationale de football (FIFA) a d’emblée assuré, sur la base de son code éthique, qu’elle ne lèverait pas la suspension de quatre ans de M. Platini, banni jusqu’en octobre 2019. Elle fait la distinction entre la justice sportive (la suspension décidée par son comité d’éthique, réduite par le Tribunal arbitral du sport) et la justice pénale.

« M. Platini n’était accusé de rien par la justice suisse. On peut violer le code d’éthique et être sanctionné pour cela sans pour autant violer la loi et donc ne pas être inquiété par la loi. Les faits sont là, confirmés par les attendus du Tribunal arbitral du sport », glisse-t-on à Zurich, au siège de la FIFA.

A la FIFA, on indique que le comité d’éthique dit « indépendant » de la Fédération n’est pas en mesure de « casser une de ses décisions » alors que seul le Tribunal arbitral du sport (TAS) est souverain. D’autre part, on précise qu’aucune décision politique émanant du président de la FIFA, Gianni Infantino, ne pourrait remettre en cause la sanction entérinée par le comité d’éthique.

« Les gens que cette commission surveille casseraient une de ses décisions ?, s’interroge un bon connaisseur de la Fédération. Cela revient à mettre en cause toutes les décisions de cette commission ? Et que dirait-on ? Le bon vouloir du président, une institution de clowns qui magouillent ? »

L’élection à la FIFA de juin 2019 en ligne de mire

Le cas Platini est en passe de se déplacer sur le terrain politique. Empêché de briguer la succession de Joseph Blatter en 2016, l’ex-président de l’UEFA « ne [s]’interdi[t] rien », comme il l’a déclaré au Monde vendredi, dans l’optique du prochain congrès électif de la FIFA, programmé le 5 juin 2019, à Paris. Un scrutin auquel son ex-bras droit à l’UEFA et actuel patron de la Fédération internationale, Gianni Infantino, devrait se présenter.

Le calendrier politique a son importance. Car s’il souhaite revenir dans l’arène, Michel Platini devra obtenir la levée ou la réduction de sa suspension suffisamment tôt pour être éligible en juin 2019. Soit quatre mois avant le terme de sa radiation. « On voit bien, avec la réaction de la FIFA, qu’un retour possible de M. Platini dérange ceux qui veulent rester en place. Mais les choses peuvent évoluer », estime Me Vincent Solari.

Alors que l’action de Gianni Infantino mécontente certains patrons de confédérations continentales, qui verraient d’un bon œil le retour de Platini au premier plan, des présidents de fédérations nationales demanderont-ils à la FIFA de lever la suspension du Français ? La question est d’autant plus ouverte que l’attribution du Mondial 2026, à laquelle prétend le Maroc et le trio nord-américain composé des Etats-Unis, du Mexique et du Canada, et dont le vote aura lieu le 13 juin lors du congrès de Moscou, pourrait rebattre les cartes et fragiliser Gianni Infantino.

Ce « si discret » Marco Villiger

En attendant, à la FIFA, un responsable fait preuve de nervosité depuis vendredi. Il s’agit de Marco Villiger, unique rescapé de l’administration Blatter et promu en 2016 secrétaire général adjoint par M. Infantino. L’ex-directeur juridique et zélé confident de Joseph Blatter, au courant de tous les secrets de son ancien patron, est soupçonné par plusieurs sources internes comme externes d’avoir transmis au parquet suisse, en septembre 2015, l’information du paiement de 2 millions de francs suisses, versé en 2011, à M. Platini.

Dépeint par un ancien collègue comme un « dirigeant très habile pour jouer avec les marionnettes », au fait par le truchement de son secrétariat de l’avancée de l’enquête du comité d’éthique sur le cas Platini, Marco Villiger est notamment accusé par Joseph Blatter d’être cette « gorge profonde » dans son dernier ouvrage (Ma vérité, éd. Héloïse d’Ormesson, 2018). Et ce même si plusieurs sources soupçonnent le roi déchu du foot mondial, vu comme « l’arroseur arrosé », d’avoir demandé à son directeur juridique de vendre la mèche pour couler la candidature de son rival Platini.

« Villiger est incontournable mais il adorerait rester dans l’ombre », confie un habitué de la FIFA. « La dernière chose qu’Infantino et Villiger veulent est un retour de Platini. Cela va solidifier le tandem infernal et ils vont parer au plus pressé », ajoute un autre fin connaisseur des arcanes du ballon rond. Signe que le bras de fer entre la FIFA et Michel Platini ne fait que commencer.