Dans le manifeste « Freespace » qu’elles ont rédigé pour l’occasion, Yvonne Farrell et Shelley McNamara, les commissaires de la 16e édition de la Biennale d’architecture de Venise (qui reste ouverte au public jusqu’au 25 novembre), appellent à renouveler les manières de voir et de penser. En décernant le Lion d’or à un collectif de très jeunes architectes (Alessandro Bosshard, Li Tavor, Matthew van der Ploeg et Ani Vihervaara) pour leur projet ludique de visite d’appartement témoin installé dans le pavillon suisse, le jury a validé leur proposition. Autour de sa présidente, l’architecte argentine Sofia von Ellrichshausen, il réunissait Frank Barkow (architecte américain), Patricia Patkau (architecte canadienne), Pier Paolo Tamburelli (architecte et critique italien) et Kate Goodwin (curatrice australienne et directrice du département d’architecture de la Royal Academy of Arts de Londres).

Entraînés dans un labyrinthe blanc aux proportions anamorphosées, les visiteurs du pavillon suisse évoluent entre des portes pour géants et des alcôves de maison de poupées, des chambres à ciel ouvert et des salons aveugles, chaque pièce offrant de multiples et protéiformes ouvertures sur les autres… Gros succès sur Instagram où chacun y allait de son selfie au pays des merveilles, ce détour par le jeu, par la fiction, par l’expérience physique est aussi – et surtout – une invitation à ouvrir les yeux sur notre environnement immédiat, à questionner la standardisation, largement impensée aujourd’hui, des espaces d’habitation et plus généralement de l’architecture mondialisée.

Le pavillon suisse à la 16e Biennale d’architecture de Venise, le 24 mai 2018. / FILIPPO MONTEFORTE/AFP

Réhabilitation de lieux désaffectés

Le palmarès a validé, par ailleurs, l’autre grande idée du « Freespace » : la réhabilitation de ruines, de friches, de lieux désaffectés… Réponse à une exigence éthique, dans un contexte où la bétonisation à outrance menace de précipiter le monde vers sa fin, cette dimension de l’architecture dominait largement le programme – elle était notamment au cœur de la stimulante exposition « Lieux Infinis », conçue par les architectes de l’agence Encore Heureux au pavillon français.

Elle peut produire des merveilles architecturales, comme cet ancien corps de ferme perdu en rase campagne, à São Lourenço do Barrocal, au Portugal, qu’Eduardo Souto de Moura a transformé en un petit village autour d’un hôtel. Présenté dans l’exposition principale, à la Corderie, sous la forme d’un diptyque de deux grandes photographies aériennes, il a remporté le Lion d’or du meilleur projet. Saluant « la précision avec laquelle ces deux photographies se répondent », et révèlent « la relation essentielle entre l’architecture, le temps, et le site », le jury a possiblement aussi voulu distinguer le travail de ce grand maître portugais (Eduardo Souto de Moura a remporté le prix Pritzker en 2011) dont l’œuvre s’est construite dans le respect de la tradition vernaculaire, et du patrimoine architectural.

L’architecte portugais Eduardo Souto de Moura (au centre) avec son Lion d’or du meilleur projet, entouré du président de la Biennale d’architecture, Paolo Baratta (à gauche), et du maire de Venise, Luigi Brugnaro, lors de la cérémonie de clôture de la 16e Biennale de Venise, le 26 mai 2018. / ANDREA MEROLA/AP

Le prix des jeunes talents va dans le même sens, qui a récompensé la belle installation des Belges Jan de Vylder, Inge Vinck, Jo Taillieu qui mettait en scène un projet de reconstruction d’une clinique psychiatrique à partir de ses propres ruines.

Le jury a également distribué des mentions spéciales

Le jury a également distribué des mentions spéciales. Au pavillon britannique, d’abord, dont les commissaires, fidèles à leur humour insulaire, ont répondu à l’idée de « Freespace » en vidant totalement l’espace au sol, traditionnellement dédié aux expositions, pour installer une terrasse sur le toit, ouverte à toutes les activités qu’on veut bien imaginer. Et au beau projet des Indiens de l’agence RMA autour de la question de la porosité des espaces : une installation onirique tout en voiles transparents, projections vidéo, photographies, qui s’inspire de trois de leurs réalisations – un immeuble de bureaux intégralement enveloppé d’une moumoute de verdure, une bibliothèque à moitié enfouie dans le sol et une école. Et enfin à l’installation de l’Indonésien Andra Martin, « pour la réflexion qu’elle propose sur les matériaux et la forme des structures vernaculaires ».

Sur le Web : www.labiennale.org/en/news/awards-biennale-architettura-2018