Trois minutes de vidéo et deux vies qui basculent. D’abord, il y a ces gestes routiniers effectués ce matin du 11 septembre 2013, à 8 h 45, comme chaque matin depuis des années. Stephan Turk actionne l’ouverture du rideau métallique de sa bijouterie, La Turquoise, à Nice.

Il entre, appuie aussitôt sur le bouton situé à sa droite pour désactiver l’alarme, vérifie machinalement que la porte en verre est fermée, rabaisse à moitié le rideau métallique et marche jusqu’au comptoir. Soudain, le fracas. La porte vole en éclats sous les coups de pied d’un premier homme casqué, un autre pénètre à sa suite, casqué lui aussi et armé d’un fusil à pompe, dont l’étui tombe sur le sol.

Le premier braqueur se précipite sur le bijoutier et le frappe violemment en criant, puis lui assène un autre coup, en exigeant l’ouverture du coffre. Stephan Turk disparaît de l’écran de la caméra. Le premier braqueur saisit l’arme de son complice et tient en joue le bijoutier pendant que le second s’agenouille pour vider le coffre et remplit de son contenu un grand sac de sport. Deux kilos d’or, 12 000 euros en espèces.

Le braqueur armé ramasse encore quelques bijoux dans les vitrines, qu’il fourre dans ses poches, puis donne le signal du départ à son complice. Tous deux se précipitent au dehors pour enfourcher leur scooter Tmax. La scène dure deux minutes et quarante-trois secondes. Sept secondes passent. Stephan Turk réapparaît à l’écran. Il marche vite, une arme dans le dos, s’approche du rideau métallique, s’agenouille. Trois autres secondes passent. La caméra saisit la roue du scooter qui avance. Stephan Turk tire, une fois, deux fois, trois fois, puis sort de sa boutique. Fin de la vidéo. Quelques mètres plus loin, Anthony Asli, 19 ans, est affaissé sur le trottoir, atteint mortellement d’une balle dans le dos.

Agression

Deux minutes et quarante-trois secondes d’un braquage violent, traumatisant, qui font de Stephan Turk une victime. Puis ces dix toutes petites secondes, dix de trop, qui lui valent de répondre d’homicide volontaire devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes, à Nice, depuis lundi 28 mai.

La vidéo passe et repasse sur l’écran de la salle d’audience. En entier, puis image après image. De part et d’autre du prétoire, chacun ne retient que sa partie du film. Pour l’accusé, celle qui fige un vieux monsieur tranquille dans l’ordinaire d’une vie de labeur et qui, à 67 ans, subit une agression terrible, dont les conséquences ont échappé à sa volonté. Et pour les parties civiles, celle qui montre les dernières secondes de vie d’un frère et compagnon avant qu’il ne soit abattu dans un geste d’apparence déterminé.

Entre les deux, il y a la cour et le jury, qui emmèneront la vidéo en entier dans leur délibéré. Me Franck de Vita, l’avocat de Stephan Turk, qui plaide la légitime défense et espère l’acquittement, semble plus confiant dans le jugement des citoyens que des citoyennes. Il a récusé trois femmes que le tirage au sort avait désignées. La présence de la seule jurée féminine sur six est due à la riposte de l’avocate générale, Caroline Chassain, qui a récusé un homme.

« Je visais le scooter »

Le président, Patrick Veron, pose à l’accusé les questions nécessaires : pourquoi n’a-t-il pas baissé son rideau métallique et appelé la police, au lieu de prendre son arme ? Stephan Turk raconte le cambriolage de sa boutique, un an plus tôt. « La police n’a rien fait », dit-il. Pourquoi, s’il ne voulait pas tuer, s’est-il emparé de ce pistolet semi-automatique de calibre 7.65, caché derrière le coffre, alors qu’un Gomm-Cogne — un pistolet à balles en caoutchouc — se trouvait juste sous le comptoir ? « Par instinct », répond-il. Et pourquoi avoir tiré ? « Je visais le scooter ». Et pourquoi trois fois ? « Parce que le passager du scooter [Anthony Asli] s’est retourné et m’a menacé avec son arme. »

L’avocate générale prend le relais. Elle s’avance dans le prétoire, se place sous les regards de la cour et des jurés. « Mais s’il se retourne pour vous menacer, il prend une balle là — elle montre son buste — ou là — elle désigne ses côtes — mais pas là », tranche-t-elle en plaçant sa main dans son dos, sous l’omoplate droite. « Moi, j’ai perdu ma vie ! Je suis un mort-vivant ! » s’écrie le vieux monsieur. « Nous, on a un mort », réplique Me Philippe Soussi en montrant les jeunes femmes parties civiles.