A Madagascar, le président Hery Rajaonarimampianina a échappé à la destitution que réclamaient ses opposants. La Haute Cour constitutionnelle (HCC), qui avait été saisie, a rendu un avis négatif, vendredi 25 mai, mais a ordonné au chef de l’Etat de nommer un premier ministre de consensus « dans un délai de sept jours ». Celui-ci sera chargé de préparer des élections anticipées sans attendre l’échéance initiale de novembre. Ce compromis peut-il permettre d’apaiser les tensions qui secouent la Grande Ile depuis l’adoption contestée de nouvelles lois électorales, début avril, et conduire la population aux urnes dans de meilleures conditions ? Entretien avec Ketakandriana Rafitoson, chercheuse au Sefafi, l’Observatoire de la vie publique à Madagascar.

Comment analysez-vous la décision de la Haute Cour constitutionnelle ?

Ketakandriana Rafitoson La HCC n’est pas allée au bout des choses. Elle a certes reconnu que le président a violé la Constitution en s’abstenant de mettre en place la Haute Cour de justice, mais elle s’est abstenue de le sanctionner, ce qui est regrettable. Elle aurait pu créer un précédent susceptible de faire réfléchir les prochains présidents. Je comprends néanmoins partiellement sa position, dans le désordre politique actuel où chacun manœuvre pour se positionner en vue des prochaines élections.

En vérité, nul ne sait vraiment ce qui se serait passé si le président avait été déchu. Le président du Sénat, Rivo Rakotovao, aurait été propulsé à la tête de l’Etat et il n’est pas certain que c’eût été le meilleur des remèdes aux troubles actuels. Par contre, je pense qu’il va être difficile de trouver un premier ministre de consensus sur la base des résultats des législatives de 2013, puisque beaucoup de députés ont changé de camp.

Une vraie crise n’est pas à exclure, car les Malgaches vont être convoqués aux urnes alors que la liste électorale est à peine consolidée, que les textes électoraux ne sont pas prêts et que certains candidats, déjà en précampagne, ont pris une longueur d’avance. Cela cause une inégalité certaine entre les futurs compétiteurs.

Comprenez-vous l’inquiétude de la communauté internationale, dont la mission de médiation a échoué ?

Dès qu’une crise se profile quelque part, surtout dans un pays fragile comme Madagascar, on envoie des médiateurs. Il faut peut-être y voir une mesure de précaution. Madagascar, qui est censée être sur la voie du redressement, bénéficie d’un volume assez important d’aide et une nouvelle crise risquerait de ruiner des années d’efforts. C’est une hypothèse. Une chose est sûre : les Malgaches ont toujours été frileux devant les médiations internationales, qu’ils considèrent comme une ingérence dans leurs affaires nationales.

Comment expliquer la répétition des crises qui secouent Madagascar ?

Je retiens cinq éléments essentiels et récurrents : la vénalité des dirigeants successifs, qui n’ont jamais hésité à sacrifier l’intérêt supérieur de la nation au profit des leurs ; l’appauvrissement à une vitesse soutenue de la population, qui, d’ici peu, n’aura même plus droit à un repas quotidien ; les liens d’intérêts entre le secteur privé et les politiciens ; le faible niveau d’éducation de la population, qui permet son infantilisation à outrance et entretient son sentiment d’impuissance devant les agissements des politiciens ; enfin, la faiblesse et la politisation d’une partie de la société civile. Tant que ces points ne seront pas corrigés, la crise, qui dure pour moi depuis cinquante-huit ans, persistera. Les rendez-vous électoraux sont l’occasion de manifester le mécontentement par des soulèvements.

Et la crise actuelle ?

Je préfère parler de troubles et non de crise, car pour moi la situation actuelle a été planifiée par les protagonistes. Certains politiciens ont intérêt à voir se reproduire ces « crises cycliques » à la veille des rendez-vous électoraux pour se positionner en sauveurs, en bâtisseurs, tandis que d’autres prônent le maintien d’une pseudo-stabilité dont ils sont les seuls à tirer bénéfice. La crise pour moi n’est pas politique, elle est sociale, et il est dommage que personne ne s’y intéresse. Les politiciens utilisent la pauvreté pour manipuler les foules.

La situation est-elle comparable à celle de 2009 ?

Deux points rappellent la crise de 2009. D’abord, c’est une situation manipulée : les protagonistes prétendent mobiliser le peuple à coups de spectacles et de déclarations tonitruantes. De part et d’autre, les mobilisations se jouent à coups de billets ou de sacs de riz. Le HVM [le parti de Hery Rajaonarimampianina], tout comme le TIM [de l’ancien président Marc Ravalomanana] et le Mapar [de l’ancien président de transition Andry Rajoelina] connaissent bien les ficelles de ce métier. Ensuite, nous avons les mêmes protagonistes, tout simplement. L’histoire, surtout malgache, est un éternel recommencement et l’amnésie collective nous guette encore une fois…

En 2009, l’armée avait porté au pouvoir Andry Rajoelina. Cette année, elle a enjoint les politiques de trouver une solution de sortie de crise. Comment analysez-vous cela ?

La prise de position de l’armée, au lendemain de la manifestation du 21 avril qui a coûté la vie à plusieurs personnes, traduit une prudence manifeste. L’armée et les forces de l’ordre en général ont été au cours des régimes successifs considérées comme le bras armé du pouvoir politique en place. Puis ces forces se sont scindées, se vendant au plus offrant, sortant de leur réserve, jusqu’à voir leur image ternie. En appelant au dialogue, l’armée se place cette fois sur le terrain de la neutralité et veut peut-être se débarrasser de l’étiquette de putschiste qui lui colle à la peau. Seule la suite des événements nous dira dire si elle peut vraiment rester neutre et indépendante de la sphère politique.

Quel rôle peut jouer l’Eglise dans la recherche d’un compromis ?

L’Eglise – comprendre les quatre confessions majeures – tient une place prépondérante dans la vie des Malgaches, et ce depuis les temps royaux. Sa défense des pauvres parle à une population dont la paupérisation n’a cessé de s’aggraver au fil des décennies. L’Eglise s’est toujours occupée de politique, même si elle s’en défend officiellement. La lecture des communiqués de la Conférence épiscopale de Madagascar (CEM) ou l’analyse du comportement du FFKM, le Conseil des églises malgaches, ne laisse aucun doute là-dessus.

Le FFKM a gagné ses jalons de médiateur lors de la crise de 1991 et n’a cessé depuis, en bien ou en mal, de s’intéresser à la question politique. L’Eglise est perçue comme un rempart éthique contre les dérives politiciennes. Cette confiance a pourtant été ébranlée par les partis pris politiques de certains prélats. Les fidèles sont de plus en plus sceptiques devant l’immixtion de l’Eglise dans les affaires nationales. Quoi qu’il en soit, faute de mieux, les médiateurs religieux ont encore de l’avenir devant eux.