On va sans doute beaucoup entendre l’expression « dans le même temps » à la Cour d’assises des Alpes-Maritimes, devant laquelle Stephan Turk comparaît pour « homicide volontaire » du 27 mai au 1er juin. Le 11 septembre 2013, à 8 h 45, alors qu’il soulevait le rideau métallique de sa bijouterie La Turquoise, ce commerçant niçois a été agressé par deux hommes cagoulés et armés de fusils à pompe, qui lui ont asséné des coups de poings et des coups de crosse et ont exigé de lui qu’il ouvre son coffre-fort.

Pendant qu’ils s’enfuyaient avec leur butin – des bijoux et 12 000 euros en espèces – Stephan Turk a chargé une arme cachée derrière le coffre, s’est glissé sous le rideau métallique et a tiré trois fois, atteignant mortellement dans le dos l’un des passagers, Anthony Asli, 19 ans, tandis que son complice parvenait à s’échapper.

La vidéosurveillance de la boutique est formelle : le bijoutier met un genou à terre, observe pendant environ trois secondes ses agresseurs et fait feu à 8 h 52 et 35 secondes, 36 secondes et 37 secondes. Quelques secondes qui lui valent son renvoi devant la Cour d’assises. Le juge d’instruction, puis la chambre de l’instruction, ont en effet écarté d’une part, l’homicide involontaire – un délit passible de trois ans d’emprisonnement – et d’autre part, la légitime défense.

« Cette scène démontre que le commerçant était déterminé à ne pas laisser les voleurs quitter les lieux, leur forfait accompli. Il ne peut donc être soutenu que ce soit l’instinct ou la peur qui ont présidé au déclenchement de ces trois tirs. Il sera en conséquence retenu que les trois tirs ont bien été volontaires », indique l’arrêt de la chambre de l’instruction pour retenir la qualification de meurtre.

Plusieurs pétitions en faveur de Stephan Turk

En effet, selon les magistrats, ces quelques secondes de délai ne permettent pas d’accorder à Stephan Turk le bénéfice de la légitime défense – et donc de l’irresponsabilité pénale – qu’il sollicitait. L’article 122-5 du code pénal dispose en effet que celle-ci ne peut être admise qu’à deux conditions : la riposte doit être proportionnée à l’attaque et elle doit être accomplie « dans le même temps » que l’atteinte. « Il en découle que la légitime défense ne peut s’appliquer lorsque l’agresseur prend la fuite », souligne l’arrêt, qui rappelle que « même si Stephan Turk entendait récupérer les biens volés, la légitime défense des biens ne peut jamais justifier un homicide volontaire. »

Cette analyse sera-t-elle partagée par les trois juges professionnels et surtout par les six jurés citoyens qui composent la cour d’assises ? Tel est l’enjeu du procès qui s’ouvre lundi 29 mai à Nice. L’affaire, qui intervenait presque deux ans jour pour jour après le meurtre d’un bijoutier à Cannes lors d’un braquage à main armée, a en effet particulièrement ému l’opinion. Lancée en septembre 2013, une page Facebook intitulée « Soutien au bijoutier de Nice » avait été « likée » par plus d’1,3 million de personnes en trois jours.

D’autres pétitions sur Internet ont demandé l’abandon de toutes poursuites contre Stephan Turk et interpellé la garde des sceaux de l’époque, Christiane Taubira. Cette émotion était encore très présente en avril 2016 à Nice, lors du procès des deux complices du jeune braqueur tué, dans lequel Stephan Turk s’était constitué partie civile. La cour et les jurés des Alpes-Maritimes avaient condamné Ramzy Khachroub, accusé d’avoir été le chauffeur du scooter, à quinze ans de réclusion criminelle. A l’annonce du verdict, ses proches avaient exprimé leur colère : « Il n’a pas tué, lui ! » Cette peine a été ramenée à dix ans lors du procès en appel qui s’est tenu à Aix-en-Provence, en janvier.

Face-à-face tendu

Assis cette fois au banc des accusés, Stephan Turk escompte beaucoup de la faveur du jury populaire. Dans un entretien accordé il y a quelques mois au Parisien, en présence de ses avocats, il a présenté sa ligne de défense, qui réfute à la fois l’intention homicide et revendique le bénéfice de la légitime défense :

« Je n’ai jamais eu l’intention de tuer. Je n’ai jamais voulu en arriver là. J’ai subi une attaque armée très violente. C’est un moment terrible quand des personnes armées entrent dans votre sphère privée et vous tapent dessus en vous menaçant avec une arme. Alors qu’ils quittaient les lieux, l’un des braqueurs s’est retourné en pointant son arme vers moi avec l’intention de me tuer, j’ai alors tiré instinctivement par peur de mourir ; c’était un acte spontané et instinctif. Je me suis défendu, j’étais seul, et c’était mon seul espoir d’essayer de survivre. »

L’affirmation de Stephan Turk selon laquelle l’un des braqueurs le menaçait d’une arme en s’enfuyant à bord du scooter sera sans doute âprement discutée. Le face-à-face risque surtout d’être tendu entre l’accusé septuagénaire, arrivé du Liban en 1983, père de six enfants, qui venait tout juste de transmettre sa bijouterie à l’un de ses fils, et la famille d’Anthony Asli, qui redoute que dans ce procès, leur fils et frère de 19 ans, dont le casier judiciaire comportait quatorze mentions, soit davantage présenté comme coupable que comme victime.