Sergio Ramos brandit le trophée de la Ligue des champions, son quatrième avec le Real Madrid. / Pavel Golovkin / AP

Chronique. Une clé de bras fatale au meilleur attaquant adverse, un coup de coude dans le visage du gardien, une simulation de blessure au visage : le Madrilène Sergio Ramos a honoré sa réputation d’affreux lors de la finale de la Ligue des champions, suscitant une vague mondiale de réprobation. A cette heure, une pétition a recueilli plus de 300 000 signatures pour exiger des sanctions de la part de la FIFA…

Etre le défenseur central emblématique du Real Madrid expose à des détestations pas toujours objectives. Mais on doit reconnaître à Sergio Ramos, excellent footballeur par ailleurs, qu’il réalise une redoutable synthèse de vice et de brutalité. C’est d’autant plus à souligner que les brutes sont devenues rares dans le football actuel. Avant les années 1990, les stoppeurs pouvaient charger les attaquants la bave aux lèvres, les latéraux tronçonner les ailiers un peu aventureux sans risquer beaucoup plus qu’un avertissement. Depuis, on « protège les artistes ».

En revanche, les vicieux ont conservé des marges de manœuvre. Les actes d’antijeu les plus banals, comme l’accrochage de maillot à quarante mètres des buts, ont certes été efficacement réprimés par la systématisation des cartons jaunes. Mais, aussi quadrillé par la vidéosurveillance télévisuelle soit le terrain de jeu, il y a encore des angles morts pour perpétrer certaines exactions – moyennant quelque discrétion. Les provocations restent moins sanctionnées que les réactions, les simulations bien exécutées gardent le pouvoir d’abuser l’arbitre – ce qui est toujours davantage reproché à ce dernier qu’à l’auteur de l’abus.

Affaire de morale

Les réprobations contre Sergio Ramos et ses semblables ne vont pas sans une bonne dose d’hypocrisie. Insupportable dans l’équipe adverse, la brute subtile est toujours très appréciée dans celle que l’on supporte. Dans ce cas, cela relève de « l’expérience » que l’on prête précisément à des formations comme le Real et qu’on lui envie. Le PSG a recruté Thiago Motta, maître du genre, à ces fins, et presque toutes les équipes ont leur spécialiste. Les coups en douce, les agressions furtives, les provocations verbales font partie de cet art controversé.

Sergio Ramos, en famille, célèbre la victoire en Ligue des champions dimanche 27 mai, au stade Santiago Bernabeu. / JAVIER BARBANCHO / REUTERS

Intimider l’adversaire, lui faire perdre ses nerfs ou une partie de ses moyens, comme Fabio Cannavaro sur Thierry Henry en finale de la Coupe du monde 2006, est-ce « de bonne guerre » ? Ce débat n’a aucune chance d’être tranché un jour : il est affaire de morale personnelle et, dans le football, toutes les morales peuvent être défendues. On voit simplement et indéfiniment s’affronter, d’un côté les partisans d’une répression accrue qui poursuivent un idéal de pureté sportive (non sans puritanisme), de l’autre ceux qui s’opposent à un football « édulcoré » et défendent la nécessité d’une part de malice (non sans mauvaise foi).

Comment sanctionner un Sergio Ramos ? Pour juger de son accrochage avec Mohamed Salah, il faudrait convoquer un panel d’arbitres de judo, d’experts en orthopédie traumatique et de spécialistes de l’éthique. Leur verdict n’en serait pas moins contesté. Quant au coup de coude sur Loris Karius, il faut réussir à l’apercevoir sur un plan de caméra particulier… Si le geste est intentionnel, il faut admettre qu’il est réalisé avec une science certaine. Dans son message adressé à Salah sur Twitter, le défenseur madrilène n’est pas vraiment sorti de l’ambiguïté : « Le football montre parfois ses mauvais côtés », a-t-il écrit.

Héros négatifs

Les instances du football ont toujours renâclé à utiliser les images pour sanctionner rétroactivement les fautifs, renonçant ainsi à un efficace levier de dissuasion, prônant de fait un laxisme relatif. Comme toujours en matière d’arbitrage, on se trouve dans une dialectique entre la nécessaire volonté de lutter contre les tricheries et la conscience que cette lutte ne pourra jamais être totalement gagnée.

Ce n’est pas plus mal, à vrai dire. Sport de contact mais pas complètement, métaphore permanente de la lutte entre le bien et le mal, discipline livrée plus que d’autres aux aléas et revers de fortune, loin de récompenser toujours les meilleurs et encore moins les gentils, le football n’a pas grand-chose à gagner à se transformer en exercice de justice. Sa mythologie est peuplée de héros négatifs, de « méchants » nécessaires à son intensité dramatique. Le spectacle ne peut pas se passer des Sergio Ramos au casting, même s’ils gagnent souvent à la fin. Tant pis pour la morale, tant mieux pour le football.

Jérôme Latta