Luigi Di Maio, lors d’une émission télévisée sur Rai Uno, le 28 mai 2018. En arrière-plan, une photo du président italien Sergio Mattarella, avec écrit : « Elections en septembre ou en octobre ? ». / Alessandro Di Meo / AP

Editorial du « Monde ». Une mécanique infernale s’est enclenchée en Italie. La crise politique a muté en crise institutionnelle et menace maintenant de se propager à l’ensemble du projet européen. En refusant la nomination proposée par la coalition de la Ligue (extrême droite) et du Mouvement 5 étoiles (« antisystème ») d’un ministre de l’économie ouverte ment opposé à l’euro, le président italien, Sergio Mattarella, semble n’avoir fait que retarder le moment de vérité : celui où la Péninsule devra choisir son destin européen.

M. Mattarella était face à un dilemme insoluble. D’un côté, accepter de confier l’économie du pays à Paolo Savona risquait de provoquer une crise européenne à court terme, alors que les opinions antieuro de ce dernier sont proverbiales. De l’autre, utiliser son droit de veto sur le choix des partis antisystème, vainqueurs des législatives du 4 mars, et ouvrir la voie à une période d’incertitude avec l’organisation de nouvelles élections à brève échéance.

Entre deux maux, le président italien a cru choisir le moindre, estimant que l’adhésion à l’euro ne pouvait se jouer sur une combinazione politicienne sans avoir fait l’objet d’un débat. L’option retenue par M. Mattarella pourrait toutefois échouer sur tous les tableaux. D’une part, en exerçant ses prérogatives constitutionnelles, le chef de l’Etat donne le sentiment aux électeurs des partis antisystème de ne pas respecter leur vote.

D’autre part, en confiant les rênes d’un gouvernement de transition à Carlo Cottarelli, un ancien économiste du FMI, incarnant l’orthodoxie budgétaire, il risque d’attiser l’euroscepticisme ambiant, alors que de plus en plus d’Italiens accusent déjà Berlin, Paris et Bruxelles de décider de leur sort. Ce choix est de nature à alimenter la dynamique de la Ligue, qui n’a jamais été aussi haut dans les sondages.

Les marchés financiers l’ont bien compris. Loin de calmer leurs craintes, la nomination de M. Cottarelli et la perspective de nouvelles élections favorables à la Ligue ont fait s’envoler le « spread », c’est-à-dire l’écart entre les taux d’intérêt allemand et italien à dix ans. Cette cote d’alerte sur la fiabilité de la dette italienne a atteint, lundi, son plus haut niveau depuis 2013. « Les élections seront un plébiscite, le peuple et la vraie vie contre les vieilles castes et ces messieurs du spread ! », fanfaronnedéjàMatteo Salvini, le chef de la Ligue.

Eviter de jeter de l’huile sur le feu

Les chances d’arrêter l’engrenage sont faibles. Pour cela, les décideurs européens doivent éviter de jeter de l’huile sur le feu en faisant la leçon aux Italiens. L’UE porte une lourde responsabilité dans la crise italienne, notamment par son manque de solidarité dans la vague migratoire que le pays a dû gérer. Il faut maintenant convaincre l’électorat italien, sans le braquer, que les thèses jusqu’au-boutistes des partis antisystème et leur onéreux programme économique finiraient par ruiner l’économie italienne et, par contrecoup, le projet européen, alors que les prochaines élections menacent de se transformer en référendum contre l’euro. Reste à trouver le leader capable d’incarner ce sursaut.

Après avoir exprimé une rancœur légitime contre Bruxelles, les Grecs se sont finalement ravisés en 2015, estimant que la sortie de l’euro causerait plus de dégâts qu’elle ne réglerait de problèmes. Un exemple à méditer. Entre la peur de quitter l’Europe et la colère contre ses errements, quel sentiment l’emportera ? C’est aux Italiens de choisir.